La liberté économique (art. 27 Cst.) et la répartition des zones d’aménagement

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ATF 142 I 162TF, 09.11.2016, 1C_140/2016*

Faits

Les copropriétaires de l’hôtel Schweizerhof de Lucerne s’opposent au nouveau plan d’affectation des zones (plan des zones et règlement d’urbanisme y relatif) de la Ville de Lucerne. Le nouveau plan prévoit d’attribuer la parcelle supportant l’hôtel Schweizerhof à la zone de tourisme. Le règlement d’urbanisme limite les activités possibles dans cette zone à l’exploitation d’hôtels, restaurants et casinos, à l’exception d’une superficie de 20 % qui peut être consacrée à l’habitation et/ou au travail, voire d’une superficie plus étendue pour autant que son but assure ou optimise le but touristique principal. Adopté par le législatif communal, la population lucernoise ainsi que l’exécutif cantonal, qui a par la même occasion rejeté les oppositions des copropriétaires, le nouveau plan d’aménagement fait l’objet d’un recours au tribunal cantonal lucernois.

Déboutés, les copropriétaires forment recours en matière de droit public au Tribunal fédéral en demandant l’annulation de la décision de dernière instance cantonale ainsi que de celle prise par le peuple, au motif que l’attribution de leur parcelle à la zone de tourisme violerait la liberté économique (art. 27 Cst.). Il se pose ainsi la question de la compatibilité d’une telle mesure d’aménagement avec la liberté économique.

Droit

Les copropriétaires font valoir que les critères sur lesquels repose l’attribution de la parcelle à la zone de tourisme seraient inappropriés, qu’une base légale suffisante ferait défaut et que la mesure serait une mesure de politique économique cachée. Aussi, ils invoquent la proportionnalité et l’égalité de traitement entre concurrents.

Selon l’art. 27 Cst. la liberté économique est garantie (al. 1). Elle comprend le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). L’art. 94 Cst. dispose que la Confédération et les cantons respectent le principe de la liberté économique (al. 1), et que des dérogations à ce principe, en particulier les mesures menaçant la concurrence, ne sont admises que si elles sont prévues par la Constitution fédérale ou fondées sur les droits régaliens des cantons (al. 4). Cette dernière disposition consacre ainsi le principe d’une économie fondée sur le libre marché (on parle de dimension “institutionnelle” de la liberté économique). Les principes d’égalité de traitement des concurrents et d’activité étatique neutre sur le plan de la concurrence complètent le cadre constitutionnel sur lequel repose l’économie suisse.

Comme tout droit fondamental, la liberté économique peut faire l’objet de restrictions aux conditions de l’art. 36 Cst. (base légale, intérêt public, proportionnalité, respect du noyau intangible du droit fondamental), avec la particularité que le principe de la liberté économique doit également être respecté (art. 94 al. 4 Cst., sous réserve des exceptions prévues par cette disposition).

Le Tribunal fédéral expose sa jurisprudence concernant la relation entre la liberté économique et les mesures d’aménagement. En résumé, une mesure dictée par des buts ayant trait à l’aménagement du territoire, mais qui a toutefois pour effet de restreindre la liberté économique de certaines personnes, n’est pas en contradiction avec le principe de la liberté économique. Il n’en va autrement que si la mesure d’aménagement constitue une mesure de politique économique cachée ou qu’elle a pour effet de priver la liberté économique de tout son sens.

En l’espèce, le Tribunal fédéral rejette d’emblée l’argument selon lequel la mesure ne reposerait sur aucune base légale, la loi d’aménagement cantonale permettant aux communes la création d’autres zones que celles expressément prévues par la loi (cf. art. 18 al. 1 LAT).

S’agissant de l’intérêt public, le Tribunal fédéral reconnaît que l’attribution de la parcelle sur laquelle se trouve l’hôtel Schweizerhof à la zone de tourisme repose sur un but d’aménagement bien précis, soit celui d’assurer que dans une ville aussi touristique que Lucerne les hôtels se trouvant dans des emplacements privilégiés ne soient pas transformés en appartements de luxe ou en d’autres types commerces. De tels intérêts sont par ailleurs propres à reléguer au second plan les effets que la mesure pourrait avoir sur l’activité économique de certaines personnes.

La mesure respecte également le principe de proportionnalité, 20 % de la superficie totale d’une parcelle pouvant être consacrés à d’autres buts que l’exploitation d’hôtels, restaurants et casinos.

Enfin, le Tribunal fédéral rejette également l’argument tiré de l’égalité de traitement entre concurrents. Il rappelle d’abord que des concurrents directs se définissent comme des entreprises qui appartiennent à la même branche, en proposant la même offre au même public afin de satisfaire aux mêmes besoins. Or, en l’espèce, le Tribunal fédéral constate que d’autres hôtels à l’égard desquels les copropriétaires font valoir un traitement inégal ne peuvent pas être considérés comme des concurrents directs de l’hôtel Schweizerhof, dans la mesure où ils ne sont pas du même niveau que ce dernier. De surcroît, le Tribunal rappelle que le principe d’égalité de traitement entre concurrents ne vaut que de façon allégée en matière d’aménagement du territoire, le but de cette activité étatique étant précisément de distinguer des zones de territoire par rapport à d’autres.

Il s’ensuit que l’ensemble des conditions de l’art. 36 Cst. sont satisfaites, l’attribution de la parcelle de l’hôtel Schweizerhof de Lucerne à la zone de tourisme ne violant pas la liberté économique. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Simone Schürch, La liberté économique (art. 27 Cst.) et la répartition des zones d’aménagement, in : https://www.lawinside.ch/356/