La transmission anticipée d’écoutes téléphoniques à la France (art. 18a EIMP)

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ATF 143 IV 186 | TF, 27.03.2017, 1C_1/2017*

Faits

Le Ministère public de la Confédération (MPC), faisant suite à une demande d’entraide du Tribunal de grande instance de Paris, autorise la transmission immédiate aux autorités françaises de données récoltées à l’aide d’une surveillance active d’une société et d’une personne physique, mais en interdit leur utilisation à des fins probatoires en réservant une décision finale de refus. La société et la personne physique recourent en vain jusqu’au Tribunal fédéral, ce dernier considérant que les écoutes téléphoniques n’avaient en définitive pas donné de résultat permettant une transmission immédiate.

Par la suite, le MPC reçoit une demande d’entraide complémentaire de Paris concernant des écoutes téléphoniques portant sur des dates postérieures. Le MPC décide de transmettre les écoutes avant que la société et la personne physique concernées n’en soient informées. Le Tribunal des mesures de contrainte autorise cette exploitation. La Cour des plaintes déclare le recours des intéressés irrecevable considérant que la décision du MPC est incidente et que les recourants ne subissent pas de préjudice irréparable.

Le Tribunal fédéral est saisi d’un recours en matière de droit public et doit trancher la question de savoir s’il existe une base légale qui permet une transmission anticipée à l’Etat requérant des écoutes téléphoniques.

Le MPC rend par la suite une ordonnance de clôture autorisant la transmission des renseignements litigieux.

Droit

Concernant la recevabilité du recours, le Tribunal fédéral considère que la décision de transmission immédiate du contenu des écoutes téléphoniques doit être considérée comme ayant les mêmes effets qu’une décision finale de clôture. En effet, dans la mesure où le but de cette transmission est l’exploitation de ces données dans le cadre d’une enquête pénale en cours, il est particulièrement évident qu’il existe un risque que ces données soient exploitées avant la clôture de la procédure d’entraide. Partant, la décision doit être considérée comme finale.

Même si le MPC a entre-temps rendu son ordonnance de clôture, la condition de l’intérêt actuel n’a pas besoin d’être réalisée puisqu’une décision de transmission immédiate ne peut être attaquée jusqu’au Tribunal fédéral avant qu’elle perde son actualité.

Enfin, le cas d’espèce pose une question juridique de principe et remplit ainsi la condition du cas particulièrement important prévu à l’art. 84 LTF.

Au fond, le Tribunal fédéral rappelle d’abord le principe selon lequel toute transmission d’informations doit faire l’objet d’une procédure en Suisse durant laquelle les personnes concernées peuvent faire valoir leur droit d’être entendu. Toutefois, certaines exceptions sont prévues par la loi, notamment à l’art. 65a EIMP et à l’art. 67a EIMP.

Le Tribunal fédéral se demande si une base légale, que ce soit du droit interne ou une convention internationale, permettrait une telle transmission anticipée d’informations.

L’art. 18a al. 2 EIMP prévoit que la surveillance par poste et télécommunications peut être ordonnée par le MPC ou l’OFJ, et doit être approuvée par le Tribunal des mesures de contrainte compétent (al. 3), sans toutefois autoriser expressément une remise anticipée des résultats de la surveillance. L’art. 18a al. 4 EIMP prévoit que les conditions de la surveillance et la procédure sont régies par les art. 269 à 279 CPP et par la LSCPT. Cette disposition se limite ainsi à un rappel des règles formelles de procédure et de compétence, mais n’a pas pour but de permettre une transmission anticipée de renseignements à l’étranger à l’insu des personnes ayant fait l’objet de la surveillance téléphonique. L’art. 18b EIMP, qui permet d’ordonner une transmission avant la clôture de la procédure d’entraide, se limite quant à lui aux données relatives au trafic informatique. Le Tribunal fédéral s’écarte ainsi de la doctrine majoritaire et affirme que la transmission anticipée d’écoutes téléphoniques n’est pas prévue en l’état actuel du droit suisse et international.

Le Tribunal fédéral constate ainsi l’illicéité de la transmission anticipée par le MPC mais ne fait pas suite à la demande des recourants concernant la restitution des données. En effet, le MPC a déjà rendu son ordonnance de clôture qui, une fois définitive et exécutoire, permettra de guérir les irrégularités constatées.

Dès lors, le recours est partiellement admis.

 

Proposition de citation : Célian Hirsch, La transmission anticipée d’écoutes téléphoniques à la France (art. 18a EIMP), in : https://www.lawinside.ch/424/