L’imposition dans un rapport intercantonal d’un gain immobilier suite à l’octroi d’un report d’imposition dans le canton « de départ »

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ATF 143 II 694

Lorsque le gain immobilier dont l’imposition a été différée dans un canton est finalement réalisé dans un autre canton, le canton « de départ » perd définitivement toute compétence et ne peut plus imposer le gain différé à l’époque sur son territoire (méthode unitaire). Cette solution s’impose également en cas de transfert d’immeuble similaire à un réinvestissement ne donnant pas lieu à un nouveau report d’imposition, et ce peu importe dans quel délai le transfert intervient après l’octroi du report d’imposition. L’abus de droit est réservé.

Faits

Un contribuable procède à la vente de son habitation privée située dans le canton de Berne. L’imposition du gain immobilier en résultant est différée compte tenu du fait que le contribuable acquiert simultanément une habitation de remplacement dans le canton de Genève (cf. art. 12 al. 3 let. e LHID). Deux ans après, le contribuable vend son habitation sise dans le canton de Genève, sans acquérir une autre habitation de remplacement.

L’autorité fiscale bernoise procède à l’imposition du gain immobilier résultant de la vente de l’habitation dans le canton de Genève. L’imposition est confirmée par l’ensemble des autorités cantonales bernoises.

Le contribuable forme un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si le canton de Berne demeure compétent pour procéder à l’imposition du gain immobilier nonobstant l’octroi du report d’imposition (méthode du partage), ou si l’imposition est de la compétence exclusive du canton de Genève (méthode unitaire).

Droit

D’après l’art. 12 al. 3 let. e LHID, l’imposition est différée en cas d’aliénation de l’habitation ayant durablement et exclusivement servi au propre usage de l’aliénateur, dans la mesure où le produit ainsi obtenu est affecté, dans un délai approprié, à l’acquisition ou à la construction en Suisse d’une habitation servant au même usage. La loi sur les impôts bernoise prévoit que sont assujetties à l’impôt sur les gains immobiliers les personnes qui aliènent un objet de remplacement situé hors du canton pour lequel l’impôt avait été reporté dans le canton de Berne lors de son acquisition au titre d’immeuble de remplacement (art. 126 al. 1 let. d LI/BE ; cf. ég. art. 136 al. 3 LI/BE). Enfin, la double imposition par les cantons est interdite (art. 127 al. 3 Cst.).

Le Tribunal fédéral rappelle en premier lieu sa jurisprudence 2C_337/2012. En principe, si le gain dont l’imposition a été différée est finalement réalisé, le canton « de départ » perd définitivement toute compétence et ne peut plus imposer le gain différé à l’époque sur son territoire (méthode unitaire).

Le Tribunal fédéral a toutefois laissé ouverte la question du traitement fiscal des transferts similaires à des réinvestissements ne donnant pas lieu à un nouveau report après l’octroi du report d’imposition dans un autre canton. En effet, la Conférence suisse des impôts – ainsi qu’en l’espèce les autorités bernoises – préconise une application de la méthode du partage de l’imposition, dans la mesure où le transfert de propriété interviendrait dans les cinq années après l’octroi du report d’imposition.

Pour trancher la question laissée indécise dans l’arrêt précité, le Tribunal fédéral indique qu’il est amené à établir modo legislatoris une règle de double imposition intercantonale.

Pour ce faire, le Tribunal fédéral se réfère à l’ATF 143 II 233, dans lequel il a retenu que l’octroi d’un report de l’imposition d’après l’art. 12 al. 3 let. e LHID n’exigeait pas une durée de détention minimale de l’habitation et qu’il n’est nullement fait mention d’un délai de cinq ans. Le Tribunal fédéral ne voit dès lors aucun motif plaidant en faveur de l’application de la méthode du partage en cas de transferts similaires à des réinvestissements, et ce peu importe dans quel délai le transfert interviendrait après l’octroi du report d’imposition.

Ainsi, la méthode unitaire doit également être appliquée en cas de transferts similaires à des réinvestissements ne donnant pas lieu à un nouveau report . Le Tribunal fédéral réserve toutefois les cas d’abus de droit.

Par conséquent, le canton de départ, en l’espèce le canton de Berne, ne dispose d’aucune compétence pour taxer les réserves latentes engrangées sur son territoire ; la compétence advient intégralement au canton de Genève. Une imposition dans le canton de Berne serait contraire à l’art. 127 al. 3 Cst. Aucun fait ne laisse penser que le cas d’espèce serait constitutif d’un abus de droit.

Partant, le recours est admis.

Proposition de citation : Tobias Sievert, L’imposition dans un rapport intercantonal d’un gain immobilier suite à l’octroi d’un report d’imposition dans le canton «  de départ  », in : https://www.lawinside.ch/536/