La surveillance téléphonique et la tromperie des autorités

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 ATF 144 IV 23 | TF, 13.12.2017, 1B_366/2017*

Il y a notamment « tromperie » au sens de l’art. 140 CPP lorsque la personne en cause est sciemment induite en erreur par quelqu’un représentant l’autorité. Ce qui est décisif est le fait que la personne se fonde sur un état de fait erroné en raison des explications de l’autorité pénale. La limite entre tromperie et ruse doit être appréciée en fonction des circonstances du cas d’espèce. Un prévenu ne dispose pas d’un droit à ce que les autorités mettent un terme immédiat à ses activités illégales et ne peut donc pas invoquer une tromperie selon l’art. 140 CPP.

Faits

Une instruction pénale est ouverte contre un trafiquant de stupéfiants. Quelques mois plus tard, le Tribunal des mesures de contrainte autorise la surveillance du téléphone portable d’une autre personne, raccordement également utilisé par le prévenu alors en détention.

Par la suite, le Ministère public jurassien informe le prévenu qu’il a fait l’objet de mesures de surveillance secrètes, retenant que les moyens de preuves obtenus par ce biais sont licites.

Le traficant recourt contre cette décision auprès du Tribunal cantonal, sans succès, puis auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit notamment se prononcer sur la licéité de la surveillance téléphonique effectuée ainsi que sur l’exploitabilité des écoutes en découlant. En particulier se pose la question d’une éventuelle tromperie de la part des autorités.

Droit

Dans un premier temps, le Tribunal fédéral constate que les conditions permettant la mise en œuvre d’une surveillance secrète (art. 269 CPP) sont remplies (soupçons de la commission d’une infraction énumérée à l’art. 269 al. 2 CPP, gravité de celle-ci, respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité).

Dans un second temps, le Tribunal fédéral se penche sur l’exploitabilité des écoutes. Le recourant soutient en effet que les moyens de preuve résultant de la surveillance secrète auraient été obtenus par le biais d’une tromperie inadmissible de la part des autorités (art. 140 CPP) et ne seraient, partant, pas exploitables (art. 141 CPP).

Selon la doctrine, il y a notamment « tromperie  » au sens de l’art. 140 CPP lorsque la personne en cause est sciemment induite en erreur par quelqu’un représentant l’autorité, par exemple si l’interrogateur indique faussement au prévenu que son comparse a avoué l’infraction. Ce qui est décisif pour retenir une violation de l’art. 140 CPP est le fait que la personne en cause se fonde sur un état de fait erroné en raison des explications de l’autorité pénale. Il est difficile de distinguer une telle tromperie interdite d’une ruse encore admissible. La limite doit ainsi être appréciée selon les circonstances du cas d’espèce, notamment eu égard à l’influence de l’astuce utilisée par rapport au libre-arbitre de la personne en cause et aux exigences en matière de bonne foi et de loyauté que l’on peut attendre de la part des autorités.

En l’occurrence, le détenu soutient que les autorités l’auraient informé de l’interdiction relative à l’usage de téléphone portable en détention, mais l’auraient pourtant laissé utiliser ce type d’appareil. Or, la jurisprudence avait déjà constaté qu’un comportement trompeur inadmissible de la part des autorités pénales n’était pas manifeste dans un cas similaire (TF, 4.05.2017, 1B_145/2017). Par ailleurs, l’utilisation du téléphone portable en détention résulte d’actes effectués sans droit par le recourant, lequel ne dispose toutefois pas d’un droit à ce que les autorités mettent un terme immédiat à ses activités illégales. In casu, les autorités se sont contentées de laisser le trafiquant croire que lui-même aurait réussi à les tromper et à contourner les règles de la prison. Elles n’ont enfin exercé aucune pression ou influence sur les conversations que le recourant a eues.

Faute de tromperie de la part des autorités, les moyens de preuve obtenus suite à la surveillance téléphonique ne sont manifestement pas illicites au sens de l’art. 140 CPP et sont ainsi exploitables.

En conséquence, le recours est rejeté.

Note

Au vu du caractère incident d’une décision relative à l’exploitation des moyens de preuve, le recours en matière pénale n’est recevable qu’en présence d’un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF). En l’occurrence, le prononcé qui confirme – ou infirme – la réalisation des conditions matérielles à la mise en œuvre d’une surveillance secrète (art. 269 CPP) est susceptible de causer un tel préjudice, puisque la question de l’exploitabilité des informations ne peut en principe plus être examinée par le juge du fond (ATF 140 IV 40 et TF, 10.11.2015, 1B_274/2015*, in : LawInside.ch/130). Par ailleurs, vu les conséquences pouvant découler d’une éventuelle violation de l’art. 140 CPP, soit le retrait immédiat des moyens de preuve illicites (cf. art. 141 al. 1 et 5 CPP) et la situation particulière du recourant au moment de la surveillance secrète – à savoir sa détention -, la décision attaquée, qui confirme que la mesure ordonnée n’est pas le résultat d’une tromperie inadmissible au sens de l’art. 140 CPP, est susceptible de causer un préjudice irréparable au recourant.

Proposition de citation : Marie-Hélène Peter-Spiess, La surveillance téléphonique et la tromperie des autorités, in : https://www.lawinside.ch/560/