La preuve du dommage lors d’une action contre une banque

Télécharger en PDF

ATF 144 III 155 | TF, 16.04.2018, 4A_586/2017*

Lorsqu’une banque a effectué plusieurs transactions non conformes, une estimation du dommage au sens de l’art. 42 al. 2 CO n’est possible que si les investissements fautifs ne sont plus déterminables ou lorsqu’il n’existe pas assez d’investissements exécutés en bonne et due forme en comparaison avec les investissements fautifs. Cette seconde hypothèse ne s’applique que si la part d’investissements fautifs l’emporte sur les investissements conformes ou si l’écart par rapport à la stratégie d’investissement initialement convenue est clairement reflété dans le patrimoine final du client. 

Faits

Un homme d’affaire domicilié en Turquie dépose une demande en paiement contre la succursale zurichoise d’une banque genevoise en vue d’obtenir le paiement de 6 millions de dollars. Le client allègue qu’il a subi un dommage en raison de transactions non conformes. Il justifie le montant réclamé en prenant en compte la différence entre (i) le relevé officiel de sa fortune présenté par sa conseillère le 24 janvier 2014 et (ii) le montant effectif de sa fortune à cette même date en raison d’opérations non conformes. Dans sa réplique, le client propose une autre méthode afin de prouver son dommage, soit la différence entre le montant qu’il a investi, augmenté d’environ 2.8 % correspondant au gain réalisé par un portefeuille de référence dans le même laps de temps, avec le montant qui lui reste effectivement.

Le Handelsgericht zurichois constate que les parties sont liées par un contrat de conseil en placement et que la banque a effectué 16 transactions non conformes au contrat. Elle considère que l’estimation du dommage selon l’art. 42 al. 2 CO est applicable et condamne la banque au paiement de USD 5’670’090.

La banque dépose un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral en arguant que le client n’a pas prouvé son dommage. Le Tribunal fédéral est ainsi amené à préciser l’application de l’estimation du dommage au sens l’art. 42 al. 2 CO en cas de transactions effectuées de manière non conforme par une banque.

Droit

Le Tribunal fédéral commence par préciser qu’en matière de transactions non conformes, il convient de distinguer deux situations. D’une part, le dommage peut provenir d’une gestion fautive du patrimoine en raison d’une mauvaise stratégie d’investissement. D’autre part, le dommage peut provenir de quelques investissements fautifs. Ainsi, dans la première hypothèse, il s’agit d’analyser l’ensemble du patrimoine, alors que dans la seconde, il convient d’examiner exclusivement la partie du patrimoine qui a été investie de manière non conforme.

La méthode d’examen du montant du dommage diffère donc selon ces deux hypothèses. Dans la première, il convient de comparer le patrimoine actuel du client avec la valeur d’un patrimoine hypothétique, lequel correspond à un investissement conforme au contrat, c’est-à-dire selon la stratégie d’investissement choisie (méthode dite du “patrimoine hypothétique“). Dans ce cas, le tribunal doit estimer le dommage selon l’art. 42 al. 2 CO.

Dans la seconde hypothèse, il convient d’examiner la différence entre la valeur effective des transactions non conformes et une valeur hypothétique, correspondant à la valeur qu’aurait eu la partie du patrimoine investie de manière non conforme si l’investissement avait été exécuté en bonne et due forme ; l’art. 42 al. 2 CO ne trouve ainsi pas application. Grâce à cette méthode, la banque ne peut pas compenser les gains provenant des transactions conformes avec les pertes dues aux transactions non conformes. De même, la potentielle perte due aux transactions conformes ne permet pas d’augmenter le dommage alloué au client.

Le Tribunal fédéral reconnait que la distinction entre les quelques investissements fautifs et la gestion globalement fautive peut s’avérer difficile dans certains cas. Il rejoint alors la doctrine qui propose de retenir une gestion globalement fautive lorsque les investissements fautifs ne sont plus déterminables ou lorsqu’il n’existe pas assez d’investissements exécutés en bonne et due forme en comparaison avec les investissements fautifs. Cette seconde hypothèse ne s’applique que si la part d’investissements fautifs l’emporte sur les investissements conformes ou si l’écart par rapport à la stratégie d’investissement initialement convenue est clairement reflété dans le patrimoine final du client.

En l’espèce, l’instance cantonale a omis de procéder à l’analyse susmentionnée. Elle a simplement constaté que le nombre élevé de transactions fautives ne rendait plus possible le calcul du dommage ou, à tout le moins, que celui-ci n’était pas exigible. Or, le Handelsgericht aurait dû analyser si les 16 transactions fautives l’emportaient sur les investissements conformes ou si l’écart par rapport à la stratégie d’investissement initialement convenue était clairement reflété dans le patrimoine final du client, afin de pouvoir appliquer l’estimation du dommage au sens de l’art. 42 al. 2 CO. Dès lors que les conditions d’application de l’art. 42 al. 2 CO n’ont pas été examinées, l’instance précédente a appliqué à tort la méthode d’estimation du dommage. Ainsi, le client aurait dû apporter la preuve du dommage concret résultant de chaque transaction fautive, ce qu’il n’a pas fait. Dès lors que le client n’a pas prouvé son dommage, le Tribunal fédéral admet le recours et rejette les prétentions du client.

Note

Cet arrêt a le mérite de clarifier l’application de l’art. 42 al. 2 CO lors d’une action en paiement contre une banque. Ainsi, le client qui voudrait introduire une action contre une banque devra être particulièrement attentif au degré de la preuve du dommage exigé. S’il peut prouver que les conditions d’application de l’art. 42 al. 2 CO, exposées dans cet arrêt, sont applicables à son cas, le fardeau de la preuve du dommage sera considérablement allégé. Dans le cas contraire, ou s’il subsiste un doute quant à la réalisation des conditions susmentionnées, le client devra être prudent et prouver le dommage de manière concrète ; il ne pourra proposer une estimation du dommage à l’aide d’un portefeuille hypothétique qu’à titre subsidiaire (cf. également : https://www.cdbf.ch/1004).

Proposition de citation : Célian Hirsch, La preuve du dommage lors d’une action contre une banque, in : https://www.lawinside.ch/604/

1 réponse

Les commentaires sont fermés.