L’admissibilité d’une peine conventionnelle pour violation des obligations de l’employé

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ATF 143 III 327 | TF, 07.05.2018, 4A_579/2017*

Une peine conventionnelle prévue en cas de violation des obligations de l’employé rentre dans le champ d’application de l’art. 321e CO si elle a pour but de compenser l’éventuel dommage qui en résulte pour l’employeur. Sous peine de nullité, elle ne peut alors avoir pour effet de durcir le régime de responsabilité prévu par cette disposition, par exemple en instaurant une responsabilité indépendante de toute faute ou de la survenance d’un dommage. 

Faits

En avril 2011, un médecin est engagé en qualité de responsable d’un cabinet médical. Le contrat de travail le liant à la société employeuse prévoit une clause pénale ayant la teneur suivante : « En cas de violations du contrat, et en particulier de l’interdiction de faire concurrence et du devoir de confidentialité, l’employé doit à l’employeur une peine conventionnelle de CHF 50’000 pour chaque violation du contrat. […]. Dans tous les cas, le paiement de la peine conventionnelle n’empêche pas l’employeur de demander le rétablissement de l’état conforme au contrat ou la réparation du dommage supplémentaire  ». En novembre de la même année, le médecin présente sa démission.

En 2014, la société ouvre action contre le médecin en réclamant le paiement de CHF 150’000 à titre de peine conventionnelle, ainsi que CHF 10’000 pour des coûts divers. Déboutée en première instance, elle obtient partiellement gain de cause en appel et se voit octroyer CHF 50’000 à titre de peine conventionnelle.

La société et le médecin recourent au Tribunal fédéral, lequel doit préciser dans quelle mesure une peine conventionnelle en cas de violation des obligations de l’employé peut être prévue dans un contrat de travail.

Droit

Dans un premier temps, le Tribunal fédéral se pose la question de savoir si l’art. 321e CO, qui régit la responsabilité contractuelle de l’employé, s’applique au cas particulier.

L’instance cantonale a retenu que la portée de l’art. 321e CO est limitée aux violations des devoirs de diligence et fidélité consacrés à l’art. 321a CO. Comme en l’espèce le médecin n’a pas violé ces devoirs, la norme n’aurait aucune portée en ce qui concerne la peine conventionnelle.

L’art. 321e CO conditionne la responsabilité de l’employé à une violation contractuelle, un dommage, une faute et une relation de causalité adéquate entre la violation contractuelle et le dommage. Ni la jurisprudence ni la doctrine ne distinguent entre violation des devoirs prévus à l’art. 321a CO et les autres devoirs de l’employé. En l’espèce, le Tribunal fédéral fait de même et considère que la distinction retenue par la cour cantonale est dépourvue de fondement. Ainsi, l’art. 321e al. 1 CO s’applique à l’ensemble des devoirs du travailleur, de sorte que la cour cantonale aurait dû examiner la conformité de la peine conventionnelle avec cette disposition.

Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral procède à cet examen. L’art. 321e CO est mentionné dans la liste de l’art. 362 al. 1 CO, et a, de ce fait, caractère relativement impératif en ce sens qu’il ne peut pas y être dérogé en défaveur de l’employé. Sur cette base, la doctrine unanime retient qu’une peine conventionnelle ayant pour but d’assurer le respect des obligations contractuelles de l’employé ne saurait résulter en un durcissement du régime de la responsabilité de celui-ci. En revanche, l’art. 321e CO n’empêche pas les parties de convenir, à certaines conditions, des sanctions disciplinaires.

Pour déterminer si une peine conventionnelle est conforme à l’art. 321e CO, la doctrine distingue selon la fonction compensatrice ou punitive de celle-ci. Si une peine conventionnelle vise, même partiellement, à compenser une perte et concerne donc l’intérêt économique à la bonne exécution du contrat, alors elle a vocation compensatrice et rentre dans le champ d’application de l’art. 321e CO.

En l’espèce, l’interprétation de la peine conventionnelle ne laisse pas de place au doute : la possibilité pour l’employeur de rechercher l’employé pour l’éventuel dommage supplémentaire malgré le paiement de la peine conventionnelle démontre que celle-ci a pour but, au moins en partie, de compenser la perte patrimoniale due à la violation du contrat. Le champ d’application de l’art. 321e CO est par conséquent ouvert.

Dans un troisième temps, le Tribunal fédéral doit juger si la peine conventionnelle a pour effet de durcir de façon contraire au droit le régime de la responsabilité de l’employé.

Tel est par exemple le cas si la peine conventionnelle a pour effet d’introduire un régime de responsabilité indépendant de toute faute ou un renversement du fardeau de la preuve au désavantage de l’employé.

En l’espèce, la peine conventionnelle est due en cas de violation du contrat par l’employé, indépendamment de toute faute de celui-ci. Aussi, le montant prévu contractuellement n’est pas subordonné à la survenance d’un dommage. Par conséquent, elle n’est pas conforme à l’art. 321e CO, ce qui entraîne la nullité de la clause pénale prévue dans le contrat.

Dans un dernier temps, le Tribunal fédéral se demande si la peine conventionnelle prévue en l’espèce ne pourrait néanmoins être considérée comme une sanction disciplinaire.

En principe, un contrat de travail peut prévoir des sanctions disciplinaires. Il est alors indispensable que les états de faits entraînant des sanctions soient clairement décrits dans le contrat, et que le montant de la peine soit proportionné.

En l’espèce, la peine conventionnelle s’applique à toute violation du contrat, ce qui ne satisfait manifestement pas aux exigences de précisions et de clarté d’une clause instaurant des sanctions disciplinaires.

N’étant pas compatible avec l’art. 321e CO, la clause pénale prévue dans le contrat liant le médecin à la société est nulle, si bien que les prétentions de cette dernière sont dépourvues de fondement.

Le Tribunal fédéral rejette le recours de la société et admet celui du médecin.

Note

Suite à cet arrêt, les parties à un contrat de travail pourront difficilement convenir d’une peine conventionnelle pour la violation des obligations contractuelles de l’employé. En effet, dans la grande majorité des cas de telles clauses ont pour but de compenser les désavantages que la violation entraîne pour l’employeur, sans que celui-ci n’ait à prouver ni la faute de l’employé ni l’éventuel dommage subi. Désormais, il est clair que la nature de ces clauses se heurte au caractère semi-impératif de l’art. 321e CO.

Reste en revanche loisible aux parties de prévoir une peine conventionnelle pour violation d’une prohibition de faire concurrence à la fin des rapports de travail. Dans ce cas, le régime des art. 340 ss CO s’applique et la possibilité de prévoir une peine conventionnelle est même explicitement mentionnée à l’art. 340b al. 2 CO.

Proposition de citation : Simone Schürch, L’admissibilité d’une peine conventionnelle pour violation des obligations de l’employé, in : https://www.lawinside.ch/614/