Le droit d’être entendu des initiants lors du contrôle par l’exécutif cantonal

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ATF 145 I 167 | TF, 26.11.2018, 1C_136/2018*

Lorsque le Conseil d’État contrôle la validité d’une initiative avant la récolte des signatures, les initiants disposent d’un droit de se déterminer sur d’éventuels éléments que l’autorité aurait établis à l’aide d’une instruction. A moins qu’elle envisage de fonder sa décision sur une norme ou un motif juridique dont les initiants ne pouvaient supposer la pertinence, l’autorité n’a en revanche pas à soumettre par avance aux parties le raisonnement qu’elle entend tenir.

Faits

Le Conseil d’État du canton de Vaud invalide l’initiative « Immigration libre et frontières ouvertes ». Cette initiative prévoit que « l’État et les communes accordent la priorité de l’emploi aux citoyens suisses et aux titulaires d’une autorisation d’établissement » et que « [l]’emploi d’un travailleur étranger donne lieu à une imposition fiscale de l’employeur si [certaines] conditions sont remplies ». Ces conditions visent en substance les personnes étrangères sans autorisation d’établissement et soumises à l’impôt à la source sur le revenu depuis moins de cinq ans.

Un membre du comité d’initiative recourt contre cette décision, d’abord auprès de la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal, puis auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit se prononcer sur le respect du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) et de la garantie du droit d’initiative (art. 34 al. 1 Cst.), ce qui l’amène à examiner si l’initiative est contraire au droit supérieur, en particulier à l’ALCP.

Droit

En premier lieu, le Tribunal fédéral examine le grief relatif à la violation du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.). La jurisprudence exclut un droit d’être entendu des initiants lors du contrôle de validité d’une initiative populaire par un parlement pour deux motifs. Premièrement, les questions litigieuses n’exigent pas de l’autorité qu’elle administre des preuves ou apprécie des faits. Secondement et principalement, de nombreuses sensibilités politiques sont représentées au sein d’un parlement, tous les éléments pertinents peuvent être discutés en commission ou en plenum et les membres du comité ont des moyens indirects et légitimes de faire valoir leurs intérêts auprès des députés.

Le Tribunal fédéral relève que ce dernier argument ne peut être transposé aux cas où l’exécutif cantonal statue sur la validité. La qualification d’une telle décision est ardue. Dans le canton de Vaud, le Conseil d’État la prend avant la récolte des signatures. Le Tribunal fédéral estime qu’il s’agit donc d’une décision individuelle et concrète s’adressant à une ou plusieurs personnes déterminées, les initiants. Ceux-ci sont destinataires de la décision et bénéficient à ce titre de la garantie du droit d’être entendus.

Cela étant, le Tribunal fédéral considère que, en matière d’initiative populaire, les initiants ont en principe déjà détaillé leurs arguments dans l’exposé des motifs, qui accompagne le texte de l’initiative. Cependant, lorsque l’exécutif a conduit une instruction avant de rendre sa décision, en sollicitant un avis de droit ou en requérant des statistiques ou des informations factuelles, les initiants ont le droit de se déterminer sur ces éléments. Pour le reste, l’autorité n’a pas à soumettre par avance aux parties le raisonnement qu’elle entend tenir, sauf lorsqu’elle envisage de fonder sa décision sur une norme ou un motif juridique dont les initiants ne pouvaient supposer la pertinence.

En l’espèce, le Tribunal fédéral relève que le Conseil d’État n’a pas mené d’instruction avant de rendre sa décision. Il estime en outre que le recourant pouvait s’attendre à ce que la question de la conformité à l’ALCP soit traitée. Dès lors, l’autorité n’a pas violé son droit d’être entendu.

En second lieu, le Tribunal fédéral se demande si l’initiative peut être interprétée de façon conforme au droit supérieur. Il considère que la première partie de l’initiative constitue une discrimination fondée sur la nationalité au sens des art. 2 ALCP et 9 par. 1 Annexe I ALCP, puisqu’elle ne permet pas de mettre un travailleur étranger avec un permis de séjour sur un pied d’égalité avec un travailleur suisse ou titulaire d’un permis d’établissement. Ainsi, elle peut discriminer certains ressortissants de l’UE, notamment ceux titulaires d’une autorisation de séjour. Il en va de même de la seconde partie de l’initiative relative à l’imposition des employeurs, puisqu’elle introduit un obstacle dans l’accès à l’emploi en dissuadant des employeurs d’engager des ressortissants de l’UE tombant sous le coup des conditions énumérées. Par conséquent, c’est à raison que les autorités précédentes ont qualifié l’initiative de contraire au droit supérieur.

L’invalidation respecte par conséquent la garantie des droits politiques (art. 34 al. 1 Cst.) et le recours est rejeté.

Note

La problématique du droit d’être entendu des initiants lors du contrôle de validité des initiatives, y compris les développements de l’arrêt en question, a fait l’objet d’un article par l’autrice du présent résumé : Camilla Jacquemoud, Le droit d’être entendu lors du contrôle de validité, Jusletter du 27 mai 2019.

Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, Le droit d’être entendu des initiants lors du contrôle par l’exécutif cantonal, in : https://www.lawinside.ch/692/