La responsabilité de l’exécuteur testamentaire à l’égard du légataire

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ATF 144 III 217 | TF, 22.02.2018, 5A_363/2017*

Le seul devoir de l’exécuteur testamentaire envers le légataire est de délivrer le legs. Ainsi, un légataire ne dispose pas d’une prétention en responsabilité à l’encontre d’un exécuteur testamentaire qui se serait versé des honoraires excessifs, dès lors que l’éventuel dommage subi par le légataire ne découle pas d’une violation du devoir de délivrer le legs, mais de la violation de l’obligation de diligence et de fidélité de l’exécuteur testamentaire, obligation dont le légataire n’est pas directement bénéficiaire. Le fait que le legs consiste en une quote-part de la masse successorale n’y change rien.

Faits

Un légataire d’une succession est au bénéfice d’un legs consistant en une quote-part d’un vingtième du total du montant net de la masse successorale. Un avocat-notaire agit comme exécuteur testamentaire de la succession. Selon son décompte, la fortune successorale est d’environ 54 millions de francs. Il délivre ainsi environ 2.7 millions de francs au légataire en exécution du legs. Il se verse aussi 600’000 francs d’honoraires pour son travail en tant qu’exécuteur testamentaire.

Le légataire ouvre une action en justice à l’encontre de l’exécuteur testamentaire pour contester le montant de ses honoraires qu’il estime excessif. L’action du légataire est rejetée en première et en deuxième instance. Le légataire dépose un recours auprès du Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral doit se prononcer sur la question de savoir si et dans quelles conditions un légataire peut agir en responsabilité à l’encontre d’un exécuteur testamentaire.

Droit

Le Tribunal fédéral rappelle que la responsabilité de l’exécuteur testamentaire est soumise aux règles du droit du mandat par analogie (cf. art. 398 al. 2 CO). L’exécuteur testamentaire doit notamment agir de manière diligente et fidèle. Il peut débiter ses honoraires directement de la masse successorale. Il doit toutefois veiller à ne pas tirer profit de sa position en se versant des honoraires excessifs. Il est aussi soumis à une obligation de rendre compte (cf. art. 400 al. 1 CO).

Dans l’ATF 101 II 47, le Tribunal fédéral avait retenu que l’action en responsabilité contre l’exécuteur testamentaire appartenait « en principe » aux héritiers et aux autres personnes gratifiées par le de cujus. En particulier, celui qui participe à la succession en vertu d’une cession de droits faite par les héritiers n’a pas la qualité pour agir à l’encontre de l’exécuteur testamentaire. Une partie de la doctrine s’appuie sur cet arrêt pour retenir que le légataire, en tant que bénéficiaire, peut agir en responsabilité contre l’exécuteur testamentaire. D’autres auteurs considèrent en revanche que tel n’est pas le cas et que le légataire ne peut agir qu’à l’encontre des héritiers (cf. art. 562 al. 3 CC). Le Tribunal fédéral considère toutefois qu’on ne peut se fonder sur l’ATF 101 II 47 pour résoudre le cas d’espèce, dès lors que cet arrêt ne mettait pas en cause un légataire, mais le bénéficiaire d’une cession des droits des héritiers.

En vertu de l’art. 518 al. 2 CC, l’exécuteur testamentaire est notamment chargé d’acquitter les legs conformément aux ordres du de cujus ou selon la loi. Cette disposition crée ainsi un rapport juridique légal entre l’exécuteur testamentaire et le légataire. Celui-ci peut agir à l’encontre de l’exécuteur testamentaire afin qu’il respecte son devoir de délivrer le legs. Sur cette base, une action en responsabilité du légataire à l’encontre de l’exécuteur testamentaire n’est possible que si le dommage subi par le légataire résulte d’une violation par l’exécuteur testamentaire de son devoir de délivrer le legs.

Le Tribunal fédéral considère à l’inverse que si l’exécuteur testamentaire viole une obligation qui n’est pas directement liée à son devoir de délivrer le legs, le légataire ne dispose d’aucune prétention à son encontre. Le fait que le légataire ait subit un dommage n’y change rien, dès lors que ce dommage constitue un dommage réfléchi. En effet, l’exécuteur testamentaire n’a pas d’autre devoir envers le légataire que celui de délivrer le legs. Contrairement à l’héritier, le légataire n’est pas protégé par les autres normes de comportement qui s’imposent à l’exécuteur testamentaire.

En l’espèce, le légataire considère avoir subi un dommage du fait des honoraires excessifs de l’exécuteur testamentaire. Il est vrai que, dès lors que le legs du légataire consiste en une quote-part de la fortune successorale nette, des honoraires trop élevés viendraient réduire cette fortune et donc la part du legs qui reviendrait au légataire. Toutefois, le légataire ne peut pas agir en responsabilité à l’encontre de l’exécuteur testamentaire, dès lors que son dommage ne découle pas d’une violation du devoir de délivrer le legs. En l’espèce, l’exécuteur testamentaire a correctement délivré le legs. En se versant des honoraires excessifs, il a engagé sa responsabilité envers les héritiers uniquement, mais pas envers le légataire (art. 398 al. 2 CO par analogie).

Le Tribunal fédéral considère ainsi que le légataire ne dispose pas d’une prétention en responsabilité à l’encontre de l’exécuteur testamentaire qui se serait versé des honoraires excessifs et rejette le recours du légataire.

Proposition de citation : Alborz Tolou, La responsabilité de l’exécuteur testamentaire à l’égard du légataire, in : https://www.lawinside.ch/708/