La version électronique du testament déposé chez le notaire bénéficie-t-elle du secret professionnel ?

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TF, 25.07.2019, 1B_158/2019

La version électronique d’un testament déposé auprès d’un notaire ne bénéficie pas de la protection prévue par le secret professionnel si le notaire n’a ni participé à son élaboration ni même conseillé son auteur.

Faits

Un gérant de fortune indépendant est soupçonné de graves infractions fiscales par l’AFC. Celle-ci procède à des perquisitions au domicile du prévenu et dans une étude d’avocat-notaire à Lugano. Lors de la perquisition de cette étude, l’AFC découvre le testament olographe du prévenu qu’il avait rédigé lui-même, sans les conseils du notaire. Le TPF ordonne néanmoins la restitution de ce document au prévenu. Le recours de l’AFC contre cette décision est déclaré irrecevable car tardif (ATF 143 IV 357, résumé in : LawInside.ch/454/).

Lors de la perquisition au domicile du prévenu, l’AFC s’est procuré également la version électronique du testament. Sur plainte du prévenu, le TPF en ordonne la restitution au motif que le document est protégé par le secret professionnel indépendamment du lieu où il se trouve (TPF, 26.02.2019, BV.2018.29).

Saisi par l’AFC, le Tribunal fédéral doit préciser l’étendue du secret du notaire afin de déterminer si un testament rédigé sans l’aide de celui-ci est protégé par le secret professionnel.

Droit

Concernant la recevabilité, l’art. 93 al. 1 let. a LTF prévoit que les décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément peuvent faire l’objet d’un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable. En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que la pièce est essentielle à la poursuite de la procédure. En outre, de son inexploitabilité découlerait la possible inexploitabilité d’autres preuves dérivées de celle-ci. Partant, l’AFC risque de subir un préjudice irréparable.

Le gérant de fortune prétend que le recours devrait être déclaré irrecevable pour une seconde raison. Selon lui, l’autorité de la chose jugée en raison du premier recours de l’AFC, lequel a été déclaré irrecevable, aurait pour conséquence que la cause ne pourrait plus être jugée par le Tribunal fédéral. Celui-ci considère néanmoins que l’affaire porte sur un objet distinct, soit le document saisi au domicile du prévenu – le testament en version électronique -, et non celui saisi auprès du notaire – le testament olographe . Partant, le Tribunal fédéral rejette cet argument et déclare le recours recevable.

Concernant le secret professionnel, l’art. 46 al. 3 DPA prévoit qu’il est interdit de séquestrer les objets et les documents concernant des contacts entre une personne et son avocat si celui-ci est autorisé à pratiquer la représentation en justice en vertu de la LLCA et n’a pas le statut de prévenu dans la même affaire. Même si cette disposition ne mentionne que le secret de l’avocat, et non celui du notaire, elle comprend également le secret du notaire. En effet, l’art. 50 al. 2 DPA, qui prévoit la protection du secret du notaire lors des perquisitions, n’a du sens que si le secret s’étend au séquestre de documents qui peut s’ensuivre.

Concernant la portée du secret, l’art. 264 al. 1 CPP précise que le secret s’applique “quels que soient l’endroit où [les documents] se trouvent et le moment où ils ont été conçus”. Or, une telle précision ne se retrouve ni à l’art. 46 al. 3 DPA ni à l’art. 50 DPA. Le Tribunal fédéral se questionne ainsi sur cette omission du législateur, lequel avait pour objectif une harmonisation des dispositions sur le secret professionnel. Dans tous les cas, le secret ne protège que la correspondance avec l’avocat et le notaire. Celle-ci comprend la correspondance au sens classique ainsi que les documents élaborés par l’avocat en lien avec le mandat. Au contraire, le simple fait qu’un document se retrouve aux mains d’un avocat ou d’un notaire ne saurait faire bénéficier à la version électronique du document la protection prévue par le secret professionnel.

En l’espèce, le testament a simplement été déposé auprès du notaire sans que celui-ci ne participe à son élaboration ou qu’il conseille le client à son sujet. Sa version électronique ne tombe ainsi pas dans la définition de la correspondance susmentionnée et ne saurait bénéficier de la protection prévue par l’art. 46 al. 3 DPA.

Le Tribunal fédéral admet ainsi le recours et rejette la plainte du gérant de fortune contre la saisie du testament par l’AFC.

Note

Bien que le Tribunal fédéral ne se prononce dans cet arrêt que sur la protection de la version électronique du testament, il nous semble, à la lecture des considérants du Tribunal fédéral, que le testament olographe déposé chez le notaire ne bénéficierait pas non plus de la protection prévue par l’art. 46 al. 3 DPA.

Andrew Garbarski et Joséphine Schwab approuvent le raisonnement du Tribunal fédéral puisque le notaire ne jouait ici qu’un rôle de dépositaire. Le testament n’était donc pas lié à son activité typique. Concernant les documents protégés par le secret « quels que soient l’endroit où ils se trouvent et le moment où ils ont été conçus » (art. 264 al. 1 CPP), les auteurs considèrent qu’il s’agit d’une omission involontaire du législateur. Ainsi, une telle protection devrait également être appliquée en droit pénal administratif (Andrew Garbarski/Joséphine Schwab, Séquestre de documents – secret professionnel du notaire –protection limitée à la « correspondance » relevant de l’activité typique, in : http://www.verwaltungsstrafrecht.ch du 14 août 2019)

Cf. également Paolo Bernasconi/Simone Schürch, La mise sous scellés dans la procédure pénale suisse et dans l’entraide internationale en matière pénale : analogies et spécificités, in : Jusletter du 10 octobre 2016.

L’auteur du présent résumé a effectué son stage d’avocat auprès de l’avocat représentant le prévenu dans cette procédure. Il n’a néanmoins pas travaillé sur ce dossier.

Proposition de citation : Célian Hirsch, La version électronique du testament déposé chez le notaire bénéficie-t-elle du secret professionnel  ?, in : https://www.lawinside.ch/809/