Le prononcé d’une mesure thérapeutique institutionnelle ultérieur au prononcé d’une peine privative de liberté

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ATF 145 IV 383TF, 07.10.2019, 6B_910/2018*

En tant que lex specialis, l’art. 363 al. 1 CPP l’emporte sur l’art. 65 al. 1 CP. Ainsi, les cantons peuvent prévoir que des tribunaux autres que celui qui a prononcé la peine initiale soient compétents pour ordonner une mesure thérapeutique institutionnelle.  Afin de respecter le principe ne bis in idem, le prononcé d’une telle mesure doit se fonder sur des faits ou moyens de preuves nouveaux et les conditions de son octroi devaient déjà être remplies au moment du jugement initial.

Faits

En 2009 un prévenu est condamné à une peine privative de liberté de 15 ans. En 2018, le Tribunal d’application des peines et des mesures de la République et canton de Genève (ci-après : TAPEM) ordonne un changement de sanction en application de l’art. 65 al. 1 CP et instaure une mesure thérapeutique institutionnelle au bénéfice du condamné. Le TAPEM fonde sa décision sur un complément d’expertise ordonné en 2016 ayant révélé la nécessité d’imposer une mesure thérapeutique au condamné vu ses importants troubles psychotiques, alors qu’une expertise plus ancienne datée de 2008 n’établissait aucune pathologie psychiatrique.

La Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise rejette le recours du condamné contre cette décision du TAPEM considérant que les conditions pour prononcer une mesure thérapeutique institutionnelle sont bel et bien remplies.

Le condamné forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral, lequel est amené à déterminer si le TAPEM était compétent pour prononcer la mesure thérapeutique institutionnelle, si l’autorité précédente a fondé sa décision sur des faits ou des moyens de preuve nouveaux et si ces éléments existaient déjà lorsque le jugement de 2009 a été rendu.

Droit

L’art. 65 al. 1 CP prévoit que, si avant ou pendant l’exécution d’une peine privative de liberté ou d’un internement, le condamné réunit les conditions d’une mesure thérapeutique institutionnelle prévues aux art. 59 à 61 CP, le juge peut ordonner cette mesure ultérieurement. Le juge compétent est celui qui a prononcé la peine ou ordonné l’internement. L’art. 363 al. 1 CPP prévoit quant à lui que le tribunal qui a prononcé le jugement en première instance rend également les décisions ultérieures qui sont de la compétence d’une autorité judiciaire, pour autant que la Confédération et les cantons n’en disposent pas autrement.

Le Tribunal fédéral commence par examiner la relation entre ces deux articles. Après analyse de la doctrine, il parvient à la conclusion que l’art. 363 al. 1 CPP prime sur l’art. 65 al. 1 CP dès lors qu’il été adopté ultérieurement à l’art. 65 al. 1 CP (lex posterior). En outre, le condamné a tout intérêt à bénéficier de l’analyse d’un autre juge qui pourrait apporter un regard nouveau sur la situation. Ainsi, les cantons peuvent prévoir la compétence d’un tribunal autre que celui qui a prononcé la peine ou ordonné l’internement, conformément à l’art. 363 al. 1 CPP.

En l’espèce, le canton de Genève a valablement fait usage de cette compétence car il prévoit dans sa législation que le TAPEM est compétent pour ordonner une mesure thérapeutique institutionnelle selon l’art. 65 al. 1 CP (art. 3 let. v LaCP/GE). Partant, le TAPEM était donc bien compétent pour prononcer ladite mesure thérapeutique institutionnelle.

Le Tribunal fédéral rappelle ensuite qu’un changement ultérieur d’une peine en une mesure thérapeutique institutionnelle porte atteinte à l’autorité de chose jugée du jugement au fond. Pour qu’un tel prononcé soit conforme au principe « ne bis in idem  » (art. 11 CPP), il doit se fonder sur des faits ou des moyens de preuve révélés après l’entrée en force du jugement. Les faits et moyens de preuve dont l’autorité de jugement disposait au moment où elle a statué et qui ont fait l’objet du raisonnement juridique ne peuvent pas à nouveau être présentés. Cela étant dit, le Tribunal fédéral précise que les conditions d’une mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l’art. 65 al. 1 CP devaient déjà être remplies au moment du jugement initial. Le juge ne peut en effet pas s’appuyer sur un fait qui n’existait pas alors et qui est survenu postérieurement. Il peut en revanche tenir compte d’une expertise permettant d’établir que les faits retenus par le premier jugement étaient faux ou imprécis, mettant en lumière des erreurs claires de nature à ébranler le fondement du premier jugement ou fondées sur de nouvelles connaissances ou une nouvelle méthode.

En l’espèce, l’existence de troubles psychotiques révélés dans l’expertise de 2016 n’était pas connue des premiers juges, dès lors que l’expertise de 2008 n’a pas décelé de pathologie psychiatrique chez le condamné. Ces éléments constituent donc des faits qui n’étaient pas révélés au moment du jugement au fond. S’agissant de la question de savoir si les conditions d’une mesure au sens de l’art. 59 CP étaient déjà remplies au moment du jugement initial, le Tribunal fédéral considère que l’état de fait de l’autorité précédente ne permet pas de trancher cette question dans la mesure où les expertises psychiatriques ne déterminent pas si les pathologies psychiques constatées chez le condamné en 2016 étaient à l’origine de ses agissements.

Le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie donc la cause à l’autorité cantonale pour complément de l’état de fait.

Proposition de citation : Vinciane Farquet, Le prononcé d’une mesure thérapeutique institutionnelle ultérieur au prononcé d’une peine privative de liberté, in : https://www.lawinside.ch/832/