Le calcul de la valeur litigieuse en cas d’appel en cause

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ATF 145 III 506 | TF, 08.10.2019, 4A_190/2019*

Pour atteindre la valeur litigieuse minimale devant le Tribunal fédéral, on ne peut pas additionner la valeur litigieuse des conclusions principales et celle des conclusions prises dans le cadre de l’appel en cause.

Faits

Dans un litige de droit de la construction, un entrepreneur ouvre action contre le maître d’ouvrage pour le paiement d’une facture impayée de CHF 29’500. Le maître d’ouvrage conclut au rejet de cette prétention et appelle en cause l’architecte pour le montant de CHF 45’000, correspondant au dommage qu’il aurait subi en raison d’une violation du devoir de diligence de l’architecte.

Le Tribunal de première instance condamne le maître d’ouvrage au paiement de CHF 29’500. Ce dernier saisit alors le Tribunal cantonal, puis le Tribunal fédéral qui doit trancher la question de savoir si les conclusions principales et celles de l’appel en cause peuvent être additionnées pour atteindre la valeur litigieuse minimale applicable.

Droit

Le Tribunal fédéral constate que la doctrine est partagée sur la réponse à donner à cette question. Parmi les auteurs qui plaident pour l’addition des différents chefs de conclusions, certains considèrent que celle-ci se justifie en raison d’un parallélisme entre l’institution de l’appel en cause et la demande reconventionnelle ; d’autres par le fait que le procès réunit des prétentions multiples assimilables à un cumul subjectif d’actions.

Le Tribunal fédéral rappelle le sens et le but de l’appel en cause. Cette institution permet à une partie à un procès pendant d’ouvrir action contre un tiers, de manière à ce que l’ensemble des prétentions soient traitées dans une procédure globale unique. Les prétentions invoquées dans le cadre de l’appel en cause doivent se trouver en lien de connexité avec celles formulées dans le cadre de l’action principale, en ce sens qu’elles dépendent de l’existence de ces dernières. C’est le cas notamment de prétentions en garantie contre des tiers, de prétentions récursoires ou en dommages-intérêts, ainsi que des droits de recours contractuels et légaux. L’avantage de l’appel en cause est ainsi de permettre le règlement de plusieurs prétentions litigieuses connexes devant le même juge, dans la même procédure et avec une seule et même administration des preuves. Le Tribunal fédéral précise qu’il s’agit cependant toujours de juger deux prétentions séparées. En effet, l’élargissement à une procédure globale ne change rien au fait que le procès principal et l’appel en cause forment chacun un lien d’instance spécifique avec des parties et des conclusions qui leur sont propres. Il arrive donc à la conclusion qu’il convient de calculer séparément la valeur litigieuse des prétentions élevées dans la procédure principale et celle des conclusions prises dans le cadre de l’appel en cause.

En l’espèce, la conclusion prise par le recourant devant l’autorité précédente tendant au rejet de la demande principale, soit le paiement de CHF 29’500, n’atteint pas le seuil minimal de CHF 30’000 prévu à l’art. 74 al. 1 let. b LTF. Aucune des exceptions à l’exigence de la valeur litigieuse énoncées à l’art. 74 al. 2 LTF n’est en outre réalisée. Le Tribunal fédéral déclare donc le premier chef des conclusions irrecevable. Il rejette en outre les autres conclusions du recourant.

Note

Le présent jugement se base sur l’application de la LTF, mais le raisonnement du Tribunal fédéral devrait également valoir lors d’une procédure cantonale soumise au CPC. Par conséquent, une partie ne devrait pas pouvoir additionner les valeurs litigieuses de sa propre prétention et de celle de l’appel en cause afin de dépasser le montant de CHF 10’000 qui permet de déposer un appel contre un jugement de première instance (cf. art. 308 al. 2 CPC). En effet, le Tribunal fédéral n’argumente pas spécifiquement sur la base de la LTF et se fonde bien plus sur la notion et le sens de l’appel en cause, qui ne varient pas en fonction du stade de la procédure.

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral laisse ouverte la question de savoir si la créance en dommages-intérêts du mandant consécutive à une exécution défectueuse du mandat et le droit du mandataire au paiement de ses honoraires s’excluent mutuellement, au sens de l’art. 53 al. 2 LTF. Il relève cependant que la jurisprudence reconnaît que le droit du mandataire à des honoraires subsiste en cas d’exécution défectueuse, le montant des honoraires pouvant être réduit afin de rétablir l’équilibre des prestations contractuelles (cf. notamment 5A_522/2014, c. 9.3.2 non publié aux ATF 142 III 9 mais résumé in LawInside.ch/179/). En effet, ce n’est que dans le cas où l’exécution défectueuse du mandat est assimilable à une totale inexécution, se révélant inutile ou inutilisable, que le mandataire perd son droit à la rémunération. Ainsi, il n’apparaît pas exclu d’admettre les prétentions en responsabilité contre un mandataire tout en accueillant, ne serait-ce que partiellement, la demande reconventionnelle formée par celui-ci tendant au paiement de ses honoraires. Dans un tel cas, l’art. 53 al. 2 LTF ne serait pas applicable, de sorte que la demande principale ou reconventionnelle qui n’atteindrait pas à elle seule la valeur litigieuse minimale serait irrecevable.

Proposition de citation : Noémie Zufferey, Le calcul de la valeur litigieuse en cas d’appel en cause, in : https://www.lawinside.ch/853/