La résiliation d’un contrat de durée déterminée

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TF, 10.12.2019, 4A_395/2018

La résiliation unilatérale d’un contrat de travail de durée déterminée doit être considérée comme une résiliation immédiate. Néanmoins, l’employeur peut revenir sur sa résiliation jusqu’au terme annoncé de la fin des rapports contractuels si l’employé s’y oppose et manifeste ainsi sa volonté de maintenir le contrat.

Faits

Une clinique genevoise engage une psychologue à partir du 1er janvier 2014 “pour une période d’une année, renouvelable par tacite reconduction”. Après quelque mois, un différend surgit quant au montant du salaire.

Le 13 mai 2014, la clinique signifie à l’employée que le contrat prendra fin le 30 juin 2014. La psychologue s’oppose au licenciement et souligne que le contrat était d’une durée minimale d’un an. La clinique lui confirme la fin des rapports de travail au 30 juin 2014 en raison d’une perte de confiance mutuelle et la libère de l’obligation de travailler.

Le 29 juillet 2014, la clinique, par l’intermédiaire de son avocat, reconnaît finalement que le contrat de travail ne prenait pas fin avant le 31 janvier 2014 et demande à l’employée de se présenter à son poste le lendemain à 14h00. La clinique indique par la suite qu’elle déclare invalider pour cause d’erreur la libération de l’obligation de travailler et prie à nouveau la psychologue de se rendre à son travail. L’employée s’y oppose en raison de salaires non payés et invoque l’art. 82 CO. En octobre 2014, la clinique considère cette réponse comme un abandon de poste et ne lui verse par conséquent plus aucun salaire.

Saisi par l’employée, le Tribunal des prud’hommes du canton de Genève condamne la clinique au paiement de près de CHF 60’000 en raison des salaires impayés et d’un licenciement abusif. La Cour de justice admet l’appel de l’employeuse et réduit le montant à moins de CHF 14’000. Selon la Cour, la résiliation des rapports de travail pour le 30 juin n’était en réalité pas valable. Ainsi, l’employée aurait dû retourner au travail dès lors que la clinique lui offrait son salaire. Elle ne pouvait ainsi prétendre à un salaire entre le mois d’octobre 2014 et le mois de janvier 2015.

L’employée interjette un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral qui doit déterminer les conséquences de la résiliation d’un contrat de durée déterminée.

Droit

Un contrat conclu pour une certaine période et reconduit ensuite tacitement constitue un contrat de durée déterminée pendant la période minimale convenue. Durant cette période, l’employeur peut uniquement mettre un terme au contrat avec une résiliation immédiate pour justes motifs au sens de l’art. 337 CO.

La résiliation d’un contrat consiste en l’exercice d’un droit formateur qui est en principe irrévocable. Exceptionnellement, la partie qui a exercé ce droit peut revenir sur sa déclaration si le cocontractant est d’accord avec cette révocation ou s’il a contesté la validité de la résiliation et, ce faisant, manifesté sa volonté de maintenir le contrat.

En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que la résiliation du 13 mai pour le 30 juin 2014 doit être traitée comme une résiliation pour justes motifs au sens de l’art. 337 CO. En s’opposant au congé, l’employée a manifesté son intention de ne pas rompre la relation contractuelle. Toutefois, au lieu de révoquer son acte formateur, la clinique l’a confirmé. Les rapports de travail ont ainsi été terminés le 30 juin 2014. L’éventuelle révocation du 29 juillet ne pouvait plus déployer d’effets puisque le contrat avait déjà pris fin. Ce courrier devait en réalité être compris comme une offre de conclure un nouveau contrat de travail. Or l’attitude de l’employée ne permet pas de considérer qu’elle aurait accepté de conclure un nouveau contrat. Le Tribunal fédéral en conclut que la Cour de justice a considéré à tort que le contrat s’était terminé le 31 janvier 2015. Celui-ci a pris fin en fait et en droit le 30 juin 2014.

Puisque la résiliation doit être considérée comme une résiliation immédiate, le Tribunal fédéral examine s’il existe des justes motifs au sens de l’art. 337 al. 2 CO. En l’espèce, la clinique n’a pas invoqué de tels motifs. Il est donc manifeste que la résiliation immédiate est injustifiée. L’employée a ainsi droit à ce qu’elle aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à la cessation du contrat (art. 337c al. 1 CO) ainsi qu’à une indemnité (art. 337c al. 3 CO). La première prétention correspond à son salaire du 1er juillet 2014 au 31 janvier 2015, sous déduction du revenu effectivement réalisé grâce à son autre emploi. S’agissant de l’indemnité, le Tribunal fédéral reprend celle fixée par le Tribunal des prud’hommes.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.

Note

Nous trouvons cet arrêt intéressant puisque le Tribunal fédéral a dû qualifier juridiquement une résiliation de facto non immédiate d’un contrat de durée déterminée. Or un tel contrat ne peut précisément être résilié de jure qu’avec effet immédiat ou pour son terme (ce qui correspond à une non-reconduction). Alors que la Cour de justice avait penché pour la seconde possibilité, le Tribunal fédéral a tranché en faveur de la résiliation immédiate.

Les effets de cette requalification comme résiliation immédiate ne sont néanmoins à nos yeux pas limpides. Alors que le Tribunal fédéral affirme dans ses considérants théoriques que la “résiliation extraordinaire met fin au contrat en fait et en droit le jour même où elle est communiquée“, il considère en l’espèce que “les rapports de travail ont pris fin en fait et en droit le 30 juin 2014“, et non le jour de la communication du licenciement (le 13 mai 2014). Ainsi, le Tribunal fédéral semble considérer que le contrat de travail perdure “en fait et en droit” malgré une résiliation qui doit nécessairement être considérée comme immédiate.

 

Proposition de citation : Célian Hirsch, La résiliation d’un contrat de durée déterminée, in : https://www.lawinside.ch/885/