Le dessaisissement de la juridiction des mineurs en faveur de la juridiction des adultes

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ATF 146 IV 164TF, 23.03.2020, 1B_573/2019

Le principe d’unité de la procédure (art. 29 CPP) ne permet pas à la juridiction des mineurs, valablement saisie pour des faits commis alors que le prévenu était mineur, de se dessaisir en faveur de la juridiction ordinaire, ultérieurement saisie pour d’autres faits commis alors que le prévenu était majeur.

Faits

Un prévenu fait l’objet d’une procédure pénale des mineurs ouverte en 2017. Le Ministère public ouvre une procédure pénale ordinaire à son encontre, notamment pour meurtre, en raison de faits commis en 2019 alors qu’il était devenu majeur. La juridiction des mineurs décide de se dessaisir de la procédure ouverte en 2017 en faveur de la juridiction des adultes. Le prévenu recourt au niveau cantonal, puis au niveau fédéral. .

Le Tribunal fédéral doit trancher la question de savoir si le principe de l’unité de la procédure (art. 29 CPP) permet de justifier un dessaisissement de la juridiction des mineurs en faveur de la juridiction ordinaire, s’agissant des faits commis avant la majorité du prévenu.

Droit

En vertu de l’art. 3 al. 2 DPMin, lorsqu’une procédure pénale des mineurs est introduite avant la connaissance d’un acte commis après l’âge de 18 ans, cette procédure reste applicable (4ème phrase). Dans les autres cas, la procédure pénale relative aux adultes est applicable (5ème phrase).

Lorsque l’auteur a commis des infractions avant et après l’âge de 18 ans (cas dits “mixtes”), il convient d’appliquer une solution adaptée aux circonstances et efficace d’un point de vue procédural. Il ne s’agit donc pas d’appliquer, selon des critères rigides, soit les sanctions et la procédure pénale des adultes, ou les sanctions et la procédure pénale des mineurs. Il s’agit surtout d’éviter les temps morts résultant d’un changement de procédure en faveur du Ministère public ordinaire alors qu’une procédure est pendante devant la juridiction des mineurs ou de devoir répéter certains actes d’instruction déjà exécutés.

La jurisprudence reconnaît que certaines circonstances, en particulier la gravité de la nouvelle infraction ou le stade avancé de la procédure de droit pénal des mineurs, peuvent exceptionnellement justifier à ne pas appliquer l’art. 3 al. 2, 4ème phrase DPMin et ainsi à admettre la compétence du Ministère public ordinaire pour instruire les infractions commises après 18 ans, malgré le fait qu’une procédure devant la juridiction des mineurs soit pendante.

En l’espèce, l’instance précédente a retenu que la poursuite de deux instructions séparées se heurterait au principe de l’unité de la procédure de l’art. 29 al. 1 CPP qui prévoit que les infractions sont poursuivies et jugées conjointement lorsqu’un prévenu a commis plusieurs infractions ou lorsqu’il y a plusieurs coauteurs ou participation. Ce principe ne serait pas remis en cause par l’art. 3 al. 2 DPMin qui n’envisagerait que l’application de l’une ou l’autre des procédures à l’ensemble des faits reprochés.

Le Tribunal fédéral relève que l’art. 29 al. 1 CPP ne s’applique que de manière très restreinte dans le cas où des mineurs ont commis des infractions en commun avec des adultes ; le principe étant la poursuite de procédures séparées (cf. art. 11 PPMin). Ainsi, le principe d’unité de la procédure au sens de cette disposition ne saurait a fortiori suffire pour justifier un dessaisissement de la part de la juridiction des mineurs – saisie valablement – en faveur de celle des adultes en l’absence de tout autre lien ou circonstance que la personne du prévenu.

La conduite de procédures séparées s’impose notamment du fait qu’au moment de l’ouverture de la procédure de droit pénal des mineurs, aucune disposition légale n’aurait permis au Ministère public ordinaire d’instruire ces infractions. Une compétence pour le Ministère public ordinaire de poursuivre des actes commis avant la majorité présuppose l’ouverture d’une procédure pénale pour des actes réalisés ultérieurement aux 18 ans du prévenu et ensuite la découverte de ceux perpétrés durant la minorité (cf. art. 3 al. 2, 5ème phrase DPMin).

Le Tribunal fédéral explique que les exceptions à l’art. 3 al. 1 4ème phrase DPMin reconnues par la jurisprudence – soit notamment la gravité des infractions commises après la majorité et le stade avancé de la procédure de droit pénal des mineurs (cf. supra) – tendent avant tout à permettre une compétence du Ministère public ordinaire pour instruire les faits réalisés après la majorité, notamment lorsque ceux-ci sont très graves, alors même qu’une instruction devant la juridiction des mineurs est pendante et que celle-ci devrait être saisie de ces nouveaux actes. Ces exceptions ne permettent en revanche pas à la juridiction des mineurs de se dessaisir de l’instruction des infractions commises durant la minorité – peu importe leur gravité – et pour lesquelles elle était seule compétente de par la loi au moment de sa saisie. L’instruction séparée permet d’assurer au prévenu de pouvoir continuer à bénéficier des garanties particulières offertes par le droit pénal des mineurs ainsi que d’offrir une solution adaptée à la pratique et à l’expérience de chaque autorité saisie.

Cette solution correspond en l’état à l’orientation prise dans la révision du CP en cours. En effet, selon l’art. 3 al. 2 D-DPMin, les cas dits « mixtes » seront en principe jugés et sanctionnés séparément (cf. Message du CF du 28 août 2019 concernant la modification du CP, p. 6423 ss).

Le recours est ainsi admis et la décision attaquée annulée.

Proposition de citation : Noémie Zufferey, Le dessaisissement de la juridiction des mineurs en faveur de la juridiction des adultes, in : https://www.lawinside.ch/920/