Un bail de durée déterminée peut-il constituer une fraude ?

TF, 12.04.19, 4A_598/2018

La conclusion d’un bail de durée déterminée en l’absence de motif valable peut constituer une fraude à la loi. Il appartient au locataire de prouver la fraude. Le juge peut toutefois se contenter d’une vraisemblance prépondérante.

Faits

Un bailleur et un locataire concluent un contrat de bail de durée déterminée (4 ans) portant sur la location d’un appartement dans le quartier prisé des Eaux-Vives, à Genève. Le bail contient une clause d’échelonnement prévoyant une augmentation de loyer pour la quatrième année : en raison de travaux de rénovation, le loyer est d’abord soumis à la LDTR/GE et fixé à CHF 1’477 par mois hors charges pour 3 ans, avant de repasser en loyer libre, au prix du marché, pour la quatrième année (CHF 2’900 par mois).

Le locataire conteste le loyer et la clause d’indexation auprès du Tribunal des baux et loyers du canton de Genève. Il conclut à ce que soit constatée l’existence d’un contrat de durée indéterminée avec renouvellement tacite d’année en année après la quatrième année. Selon le locataire, la pratique de la régie consistant à conclure un contrat de durée déterminée prévoyant un loyer échelonné vise à augmenter le loyer de manière significative, tout en limitant la possibilité pour le locataire de contester l’échelon, et est une fraude à la loi.… Lire la suite

Le taux d’intérêt négatif du LIBOR et le contrat de prêt

ATF 145 III 241 TF, 07.05.2019, 4A_596/2018*

Une interprétation du contrat de prêt est nécessaire pour déterminer les conséquences sur les intérêts du basculement du taux LIBOR dans le négatif. Un tel basculement n’entraîne en principe pas une inversion du flux de paiement, à savoir le paiement d’intérêts du prêteur à l’emprunteur.

Faits

En 2006, une commune genevoise emprunte CHF 100 Mios à une banque. Les parties conviennent que le prêt porte intérêt au taux LIBOR-CHF à six mois, augmenté d’un taux fixe de 0.0375 % par an.

En janvier 2015, l’introduction d’un taux d’intérêt négatif et l’abolition du taux plancher CHF-EUR par la BNS ont pour conséquence le basculement du taux LIBOR-CHF dans des taux négatifs. L’emprunteuse demande alors à la prêteuse de lui payer des intérêts en raison des nouveaux taux négatifs, ce que la prêteuse refuse. Celle-ci affirme en effet que le contrat ne prévoyait aucun paiement à sa charge en faveur de l’emprunteuse.

Le Tribunal de première instance et la Cour de justice rejettent la demande en paiement de plus de CHF 700’000 déposée par l’emprunteuse. Selon la Cour de justice, les parties n’avaient pas prévu l’éventualité d’un taux négatif. A l’aide d’une interprétation objective du contrat selon le principe de la confiance, la Cour considère que les parties ne pouvaient, de bonne foi, envisager un retournement de l’obligation de paiement des intérêts de l’emprunteuse à la prêteuse (ACJC/1258/2018 du 17 septembre 2018).… Lire la suite

Le paiement du salaire en euros

TF, 15.01.2019, 4A_215/2017

L’employé, qui accepte contractuellement d’être payé en euros à un taux fixe et qui dans un second temps se prévaut de l’interdiction de discriminer les ressortissants de l’Union européenne pour faire invalider la clause de versement du salaire en euros, commet un abus de droit au sens de l’art. 2 al. 2 CC s’il existe des circonstances particulières.

Faits

Un ressortissant français résidant en France est engagé en janvier 2011 par une entreprise jurassienne. Le contrat de travail prévoit un salaire mensuel de CHF 5’505.

En juin 2011, l’entreprise informe l’ensemble de ses employés que les salaires des travailleurs résidant dans la zone euro seront dorénavant payés en euros afin d’amortir les effets du cours de change suite à la baisse de l’euro et au renforcement du franc suisse. L’employé signe un avenant pour marquer qu’il accepte cette modification de son contrat de travail. Dès le 1er janvier 2012, l’entreprise verse à l’employé un salaire en euros, converti d’après un taux fictif de 1.30 alors que le taux réel était inférieur.

Le contrat de travail prend fin en juin 2015. En janvier 2016, l’(ex-)employé agit en paiement contre l’entreprise pour un montant de près de CHF 20’000, ce qui correspond à la différence entre le salaire effectivement perçu entre 2012 et 2015 et le salaire supérieur qu’il aurait touché si le taux de change réel (systématiquement inférieur à 1.30) avait été appliqué.… Lire la suite

L’absence de contestation par l’employé, la bonne foi et le degré de précision des allégations

TF, 27.02.2019, 4A_367/2018

Un employé qui, durant de nombreuses années, signe des relevés précisant son droit aux commissions ne peut pas par la suite les contester alors qu’il existait une entente cordiale avec son employeur.

La simple allégation d’un manque à gagner, appuyée par un tableau peu précis, ne revêt pas le degré de précision suffisant et doit ainsi être rejetée. La production d’un tableau plus précis après le second échange d’écritures ou son intégration dans une plaidoirie écrite ne permet pas de remédier à cette carence.

Faits

Une société en nom collectif engage un employé “en qualité de représentant”. Les parties conviennent que le salaire de l’employé sera composé de commissions entre 16 % et 22 % du chiffre d’affaires brut.

Durant plus de huit ans et demi, l’employé voit son employeuse au moins une fois par mois pour discuter du montant de ses commissions. Il reçoit alors un décompte mensuel sur lequel il appose sa signature pour approbation. La collaboration se déroule bien et il existe une entente cordiale entre les parties, jusqu’à ce que le chiffre d’affaires réalisé par l’employé baisse. En 2013, l’employé est licencié.

L’employé actionne la société devant le Tribunal civil de l’arrondissement de Lausanne en alléguant avoir touché plusieurs fois des commissions inférieures à 16 %, ce qui représentait le taux minimum convenu par les parties.… Lire la suite

L’action en dommages-intérêts du locataire après une contestation de résiliation infructueuse

ATF 145 III 143 | TF, 19.02.19, 4A_563/2017*

Un locataire ne peut pas intenter une action en dommages-intérêts contre le bailleur en invoquant une résiliation abusive (avec pour motif un prétendu besoin propre), alors qu’il a déjà contesté sans succès la résiliation selon l’art. 271 s. CO

Faits

Un bailleur et une locataire concluent un contrat de bail de durée indéterminée portant sur la location d’un appartement à Zurich.

En janvier 2013, le bailleur résilie le contrat de bail au moyen du formulaire officiel, sans indiquer de motifs. Peu après, un motif de résiliation – soit le besoin propre (Eigenbedarf) est communiqué à la locataire. Il est ensuite encore précisé à la locataire que c’est le fils du bailleur qui souhaite loger dans l’appartement avec sa famille.

La locataire conteste la résiliation devant les autorités de conciliation du district de Zurich. Selon la locataire, alors même que le motif de résiliation avancé serait le besoin propre, le réel motif serait le souhait de louer l’appartement à un prix plus élevé. Suite à l’échec de la conciliation, le bailleur ouvre action devant le Tribunal des baux de Zurich. Celui-ci constate par jugement que la résiliation n’est pas abusive et prolonge le bail de quelques mois.… Lire la suite