L’intérêt actuel à recourir

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TF, 14.04.2020, 2C_863/2019

Dans l’analyse de la qualité pour recourir, l’intérêt digne de protection suppose notamment un intérêt actuel et pratique à contester la décision litigieuse tant au moment du dépôt du recours qu’au moment où l’arrêt est rendu. L’intérêt est actuel lorsque la décision contestée limite le recourant dans ses perspectives d’emploi.

Fait

Pour des motifs de sécurité, l’Aéroport International de Genève retire la carte d’identité aéroportuaire d’un employé d’une société indépendante de l’Aéroport. Cette carte permettait à l’employé de se rendre sur les zones sécurisées du site pour exercer son métier de bagagiste. A la suite de ce retrait, l’employé est licencié.

Une procédure s’ensuit au sujet de la question de savoir si l’Aéroport est compétent pour retirer la carte de l’employé, ce à quoi le Tribunal fédéral répond par l’affirmative en reconnaissant à l’Aéroport une compétence décisionnelle en matière de retrait de cartes d’identité aéroportuaires (ATF 144 II 376, résumé in LawInside.ch/657/).

Statuant dans le cadre du renvoi, le Tribunal administratif fédéral (TAF) radie la cause du rôle au motif que l’employé n’a pas d’intérêt actuel au traitement de son recours, notamment en raison du fait qu’une éventuelle restitution de la carte n’aurait pas pour effet de rétablir la relation d’emploi.

Contre l’arrêt du TAF, l’employé forme un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit trancher si c’est à bon droit que le TAF a dénié l’intérêt actuel de l’employé au traitement de son recours.

Droit

La qualité pour recourir au TAF se détermine selon l’art. 48 al. 1 PA, à teneur duquel a qualité pour recourir quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité inférieure ou a été privé de la possibilité de le faire, est spécialement atteint par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (cf. art. 37 LTAF ; cf. ég. art. 89 al. 1 LTF).

Selon la jurisprudence, l’intérêt digne de protection suppose notamment un intérêt actuel et pratique à contester la décision tant au moment du dépôt du recours qu’au moment où l’arrêt est rendu. A défaut, le recours est déclaré irrecevable et la cause est radiée du rôle. Il est exceptionnellement renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel à condition (1) que la contestation puisse se reproduire en tout temps, (2) que sa nature ne permet pas de la trancher avant la perte de son actualité et (3) qu’il existe un intérêt public à la résolution de la question litigieuse.

En l’espèce, le Tribunal fédéral reconnaît que la restitution de la carte en cas d’admission du recours ne permettrait pas à l’employé de retrouver son emploi. Cela étant, le recourant conserve un intérêt actuel à faire contrôler la décision de retrait de sa carte. En effet, la décision de retrait contestée déploie indéniablement des effets sur les chances de l’employé d’obtenir une nouvelle carte d’accès, cas échéant sur la probabilité qu’un employeur lui confie une nouvelle mission au sein de l’Aéroport. L’employé est donc limité dans ses perspectives d’emploi. Ainsi, il dispose d’un intérêt actuel et pratique à recourir contre le retrait de sa carte.

Le Tribunal fédéral ajoute que même à défaut d’intérêt actuel, les conditions pour y renoncer sont réunies. En effet, un litige relatif au retrait d’une carte peut se reproduire en tout temps. Par ailleurs, à suivre le TAF, la nature de la contestation ne permet pas d’être soumise aux tribunaux avant de perdre son actualité étant donné que celle-ci disparaîtrait avec la perte d’emploi presque immédiate. Enfin, un intérêt public existe à la résolution du cas étant donné que le retrait de la carte implique de facto l’impossibilité pour la personne concernée d’exercer son activité professionnelle. Dernièrement, le litige revêt également une portée de principe étant donné qu’il peut concerner un grand nombre de personnes.

Par conséquent, le Tribunal fédéral reconnaît que l’employé dispose d’un intérêt actuel et donc de la qualité pour recourir contre la décision de retrait de la carte.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie l’affaire au TAF pour statuer sur le fond de la décision de retrait de l’Aéroport.

Note

Le Tribunal fédéral estime également que le TAF a méconnu l’arrêt de renvoi, qui lui imposait d’entrer en matière et de traiter le recours (cf. ATF 144 II 376, résumé in : lawinside.ch/657/). Ainsi, le Tribunal fédéral met les dépens directement à charge du TAF, pour un montant de CHF 3’000.

Proposition de citation : Tobias Sievert, L’intérêt actuel à recourir, in : www.lawinside.ch/910/