L’assiette de l’impôt spécial sur les forces hydrauliques

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TF, 05.01.2024, 9C_739/2022*

Déterminer la puissance théorique moyenne de l’eau, nécessaire au calcul de la redevance (art. 51 al. 1 LFH) et, en Valais, de l’impôt spécial, nécessite d’identifier le débit généré par les installations prévues par la concession (art. 51 al. 3 LFH). Cet exercice s’accomplit par interprétation de la concession selon les règles applicables aux contrats (art. 18 CO).

Faits

Plusieurs communes valaisannes octroient en 2004 une concession sur des cours d’eau à une société afin que cette dernière produise de l’électricité. Dès 2001, la société projette de construire une nouvelle centrale et une nouvelle galerie, car les installations en marche ne turbinent pas la totalité du débit d’eau. La construction de la centrale se termine en 2013 ; en revanche, la société abandonne le projet de galerie en 2015.

Le Service cantonal de l’énergie et des forces hydrauliques du canton du Valais notifie en 2016 plusieurs bordereaux de taxation à la société ; il réclame des montants sur la base de l’impôt spécial sur les forces hydrauliques. Il détermine l’assiette de l’impôt en se fondant sur les volumes d’eau déversés, y compris le débit d’eau supplémentaire à turbiner grâce à la centrale et la galerie. La société forme réclamation contre la décision de taxation. Le Département cantonal confirme en substance la décision du Service. Par la suite, le Conseil d’État valaisan rejette le recours de la société ; la Cour de droit public du Tribunal cantonal du canton du Valais rejette également le recours de la société. La Société forme alors recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, qui est amené à se prononcer sur l’assiette de l’impôt spécial sur les forces hydrauliques.

Droit

Le concessionnaire doit accomplir plusieurs obligations en échange de la concession. Sur le plan matériel, ce dernier construit et met en service les installations qui servent à exploiter les eaux. Sur le plan financier, le concessionnaire s’acquitte d’une redevance annuelle pour l’usage des eaux. Cette redevance se calcule en fonction de la puissance théorique moyenne de l’eau d’après les hauteurs de chute et les débits utilisables (art. 51 al. 1 LFH) ; la valeur des débits utilisables correspond à la quantité effectivement débitée par le cours d’eau, mais au maximum le débit absorbé par les installations prévues dans la concession (art. 51 al. 3 LFH).

D’une manière générale, les cantons ne perçoivent pas d’impôt spécial sur les concessions (art. 49 al. 2 LFH). Cependant, la loi autorise les cantons à percevoir des impôts spéciaux si la législation cantonale fixe une redevance inférieure à celle prévue par la loi fédérale : le canton peut alors percevoir un impôt à condition que les deux taxes réunies ne dépassent pas la redevance prévue au niveau fédéral (art. 49 al. 2 LFH in fine). Le canton du Valais a usé de cette possibilité : l’art. 65 de la loi sur les utilisations des forces hydrauliques du Valais (LcFH) fixe le montant de la redevance à 40 % du taux prévu par la loi fédérale. Le canton perçoit quant à lui 60 % du montant de la redevance à titre d’impôt spécial (art. 71 LcFH). Autrement dit, déterminer le montant de l’impôt spécial nécessite de déterminer le montant de la redevance ; cela implique d’évaluer la puissance théorique moyenne de l’eau en fonction des débits d’eau absorbés par les installations prévues (art. 51 al. 1 et 3 LFH).

Pour procéder à cette évaluation, encore faut-il s’accorder sur le sens de « d’installations prévues ». En effet, si la galerie projetée mais finalement abandonnée constitue une installation prévue, alors les débits d’eau soumis à l’impôt comprennent la quantité d’eau supplémentaire que l’installation aurait amenée. Au terme d’une interprétation de la norme, le Tribunal fédéral conclut que l’expression « installation prévue » désigne les installations que le concessionnaire a l’obligation de construire, selon le texte de la concession. Ainsi, il faut interpréter le texte de la convention afin d’identifier si le concessionnaire était tenu d’améliorer les installations existantes ou d’en construire de nouvelles.

La concession est un acte mixte : les règles d’interprétation des normes varient en fonction de la nature des clauses, selon qu’elles soient bilatérales ou unilatérales (ou décisionnelles). Les clauses bilatérales s’interprètent selon les règles applicables aux contrats (art. 18 CO). En l’espèce, les clauses de la concession qui déterminent les obligations du concessionnaire constituent des clauses bilatérales ; partant, l’art. 18 CO est pertinent pour déterminer si les parties s’étaient entendues sur la construction d’une nouvelle galerie.

Le Tribunal fédéral constate que l’instance précédente avait basé son interprétation de la convention selon le point de vue d’une « partie diligente placée dans la même situation » ; cet exercice aboutit à une interprétation objective du contrat (art. 18 CO). L’instance précédente a ainsi omis de rechercher en premier lieu la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective). Or, selon les faits constatés par les instances précédentes et les éléments figurant au dossier (art. 105 LTF), la convention ne contient aucune trace d’une volonté commune de construire des installations supplémentaires. On ne peut de plus rien conclure des comportements ultérieurs de la société, c’est-à-dire de la construction de la centrale et de travaux préliminaires pour construire une galerie. En effet, ces velléités ne témoignent pas d’une volonté commune à l’époque de la conclusion du contrat et s’expliquent par d’autres raisons, notamment économiques. En résumé, à défaut de nouvelles installations prévues par la convention, on ne peut comptabiliser dans la puissance théorique moyenne le débit d’eau supplémentaire qui aurait dû être traité par les installations précitées ; cela implique également que l’assiette de l’impôt spécial ne comprend pas ce débit.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie l’affaire au Service cantonal pour nouvelle décision de taxation.

 

Proposition de citation : Arnaud Lambelet, L’assiette de l’impôt spécial sur les forces hydrauliques, in : https://www.lawinside.ch/1399/