Contrat de prise en charge postal et preuve de l’expédition du pli 

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TF, 12.12.2023, 4A_95/2023 (rendu en audience publique)

L’expéditeur qui choisit un mode de transmission postal sans délivrance par la poste d’une attestation – en l’espèce, la remise d’un pli à un coursier en vertu d’un contrat de prise en charge avec la Poste suisse – court le risque de ne pas pouvoir apporter la preuve certaine de la remise de l’envoi en temps utile. Cependant, il garde le droit de l’apporter par tout autre moyen de preuve adéquat.

Faits

Une étude, chargée de représenter une société dans une affaire civile, dépose un appel contre un arrêt de la Chambre patrimoniale du canton de Vaud rendu le 21 septembre et notifié le lendemain, soit le 22 septembre 2021.

Le mémoire d’appel énonce avoir été envoyé le vendredi 22 octobre. Le suivi de la distribution indique que le pli, envoyé en colis PostPacEconomy, a été trié au Centre colis de Daillens le lundi 25 octobre à 6h39 et est parvenu au Tribunal cantonal vaudois le mercredi 27 octobre.

L’étude d’avocat est au bénéfice d’un contrat de prise en charge avec la Poste suisse, en vertu duquel un coursier vient récupérer quotidiennement le courrier à l’étude entre 17h et 17h30. L’étude soutient que le courrier contenant le mémoire d’appel a été remis au coursier le vendredi 22 octobre. Cette affirmation est corroborée par divers moyens. Tout d’abord, la collaboratrice de l’étude chargée de l’envoi du pli a informé, par courriel envoyé ce même jour à 16h30, l’associé chargé de l’affaire, que l’appel avait été expédié le jour même. À la suite d’une demande de son co-mandataire reçue à 18h00, l’associé lui confirme, par courriel envoyé à 18h52, que l’envoi a bien été expédié. À 19h15, l’associé envoie, par courriel, une copie du mémoire d’appel signé aux représentants des parties adverses. Enfin, contactée par le juge délégué du Tribunal cantonal, la Poste suisse indique qu’« en cas de tri du colis le 25 octobre 2021 à 6h39, il faut partir du principe qu’un dépôt devrait avoir eu lieu au plus tard le soir du 22 octobre 2021 », mais qu’aucune attestation n’est remise et qu’aucun scannage n’est effectué lors de la remise au coursier.

Considérant l’appel tardif, le Tribunal cantonal le déclare irrecevable. L’appelante recourt contre cette décision au Tribunal fédéral, lequel est amené à déterminer si l’appelante a prouvé l’expédition en temps utile de son mémoire d’appel et, ce faisant, est parvenue à renverser la présomption résultant du suivi postal.

Droit

Tout d’abord, le Tribunal cantonal a considéré que l’appelante aurait dû proposer spontanément les moyens de preuve pour établir le caractère régulier de l’expédition. En particulier, le nom de témoins pouvant attester de l’envoi en temps utile aurait dû être indiqué. Ce faisant, le Tribunal cantonal a appliqué la jurisprudence relative à l’expédition d’un pli dans une boîte postale en dehors des heures d’ouverture. Selon cette jurisprudence, en cas de doute sur la tardiveté d’un envoi, le tribunal doit entendre l’expéditeur avant de le déclarer irrecevable (art. 29 al. 2 Cst. et 152 CPC), pour autant que celui-ci se soit conformé aux règles de la bonne foi (art. 9 Cst. et 52 CPC). L’avocat qui sait que son pli ne sera pas enregistré le jour de son dépôt doit, en vertu de la bonne foi, indiquer spontanément à l’autorité avoir respecté le délai en proposant des moyens de preuve. Il peut s’agir notamment de l’indication de l’identité de témoins ou d’une vidéo attestant de l’envoi régulier du pli.

Cependant, la remise d’un pli à un coursier en vertu d’un contrat de prise en charge diffère sensiblement du dépôt dans une boîte postale. En effet, l’avocat qui remet un courrier au coursier durant les heures d’ouverture n’agit pas en violation des règles de la bonne foi (cf. ég. ATF 142 V 389). Partant, il ne peut être déchu de son droit de prouver l’envoi du pli en temps utile.

Ensuite, le Tribunal cantonal a considéré subsidiairement que l’appelant a échoué à apporter la preuve stricte de l’envoi en temps utile. La preuve stricte d’un fait est apportée dès lors que les juges ont acquis une conviction de ce fait. Une certitude absolue n’est pas exigée, de légers doutes pouvant subsister.

En l’espèce, en exigeant une « preuve matérielle objective » qui permette « d’attester formellement de la date de prise en charge de ce coli [sic] spécifiquement », le Tribunal cantonal a adopté des exigences exorbitantes quant au degré de certitude que doit revêtir une preuve stricte. De plus, la preuve ne doit pas nécessairement émaner d’un titre, mais peut résulter de tout moyen utile à découvrir la vérité. Les courriels indiquent bien que l’envoi a été expédié le vendredi et rien ne laisse déduire qu’ils auraient été falsifiés. En outre, aucun élément ne laisse penser que les avocats auraient encore modifié le mémoire d’appel le week-end, puis jeté le pli dans une boîte postale, de manière qu’il soit trié le lundi matin à 6h39 à Daillens. Partant, les juges cantonaux ont violé le droit fédéral en matière d’appréciation des preuves. Nonobstant les légers doutes résiduels, les moyens de preuves apportés suffisent à prouver que l’acte a été envoyé en temps utile.

Pour ces raisons, le Tribunal fédéral admet le recours, réforme l’arrêt en ce sens que l’appel est déclaré recevable et renvoie la cause au Tribunal cantonal pour examen au fond.

Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, Contrat de prise en charge postal et preuve de l’expédition du pli , in : https://www.lawinside.ch/1414/