Les allocations familiales et l’égalité de traitement

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ATF 143 I 1TF, 6.12.2016, 8C_182/2016*

Faits

Le parlement tessinois adopte une modification de la loi cantonale sur les allocations familiales. Le droit aux allocations appartient à toute personne ayant son domicile dans le canton. Pour les citoyens étrangers, la nouvelle loi définit la notion de domicile comme étant le fait de disposer d’un permis d’etablissement (permis C). Pour les citoyens suisses, un séjour de trois ans dans le canton est requis.

Plusieurs citoyens forment recours en matière de droit public au Tribunal fédéral en se prévalant essentiellement du caractère discriminatoire de la modification législative.

Par la suite, l’exécutif cantonal modifie le règlement relatif à la loi en précisant qu’un séjour ininterrompu de cinq ans en Suisse en étant au bénéfice d’un permis B de séjour est assimilé à un permis d’établissement.

Se pose dès lors la question de savoir si l’exigence imposée aux étrangers de résider en Suisse en possession d’un permis B de séjour pendant 5 ans est discriminatoire ou non.

Droit

La LAFam (fédérale) règle les allocations familiales pour enfants et pour la formation. Le présent litige porte sur des allocations de première enfance et d’intégration, de sorte que seul le droit cantonal est en jeu.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que les dispositions litigieuses doivent être interprétées afin de permettre, si possible, de leur attribuer un sens qui soit conforme à la Constitution fédérale. Le seul fait que dans certains cas l’application de la norme attaquée pourrait violer les droits fondamentaux ne suffit pas en tant que tel pour justifier son annulation par le Tribunal fédéral, le justiciable pouvant toujours l’attaquer à titre accessoire dans le cadre d’un recours concret.

Le principe de l’égalité de traitement (art. 8 Cst.) est étroitement lié à la protection de l’arbitraire (art. 9 Cst.). Une disposition est arbitraire lorsqu’elle n’est pas fondée sur des motifs sérieux et objectifs ou qu’elle paraît dépourvue de tout sens ou but. Elle viole en revanche le principe d’égalité de traitement lorsqu’elle traite de façon différente des cas similaires sans raison sérieuse ou qu’elle traite de façon similaire des situations qui présentent entre elles des différences importantes justifiant un traitement différent. Au demeurant, une violation de l’art. 8 Cst. peut se justifier compte tenu des buts poursuivis par le législateur, ce dernier disposant d’une ample marge de manœuvre.

Le Tribunal fédéral est donc amené à déterminer si dans le cas d’espèce il existe un motif raisonnable justifiant de traiter de façon différente les citoyens suisses et les ressortissants étrangers.

Dans le domaine des allocations familiales, la jurisprudence a qualifié de discriminatoires des dispositions qui se fondaient exclusivement sur le sexe des parents, d’autres qui excluaient des allocations pour les requérants d’asile ayant des enfants à l’étranger ou encore des dispositions conditionnant le droit aux allocations au domicile commun entre l’enfant et le parent. Le fait d’exclure du droit aux allocations familiales les étrangers au bénéfice d’un permis L ou les saisonniers du droit aux subsides d’assurance-maladie a en revanche été jugé conforme à la Constitution.

En l’espèce, le législateur tessinois souhaite que seules des personnes disposant d’un certain niveau d’intégration et d’attachement au canton puissent avoir accès aux allocations. Il s’agit d’un instrument de politique familiale dont seulement des personnes souhaitant s’établir durablement dans le canton doivent pouvoir bénéficier. Si une telle intention peut être présumée en ce qui concerne les citoyens suisses, il en va autrement s’agissant des citoyens étrangers qui, notoirement, changent de domicile plus fréquemment et rentrent souvent dans leur pays d’origine après quelques années. L’intérêt public serait mis en péril si le canton accordait des allocations à des personnes établies dans le canton seulement temporairement et prêtes à changer de domicile à l’expiration du droit aux allocations. Le fait d’avantager les familles durablement établies dans le canton repose partant sur un motif sérieux et pertinent. Il n’est donc pas discriminatoire de requérir des citoyens étrangers un séjour de deux ans plus long que pour les citoyens suisses.

Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours en admettant la constitutionnalité de la modification législative tessinoise. Il met toutefois la totalité des frais de procédure à charge du canton du Tessin au motif que celui-ci a procédé à la modification règlementaire relative à la loi uniquement suite au recours, en provoquant ainsi de frais inutiles (cf. art. 66 al. 3 LTF).

 

Proposition de citation : Simone Schürch, Les allocations familiales et l’égalité de traitement, in : https://www.lawinside.ch/391/