Le devoir d’informer les tiers de l’existence d’une procédure d’assistance administrative

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ATF 146 I 172 | TF, 13.07.2020, 2C_376/2019*

Le devoir d’information de l’Administration fédérale des contributions selon l’art. 14 al. 2 LAAF est limité aux seuls cas dans lesquels la qualité pour recourir du tiers selon l’art. 19 al. 2 LAAF est évidente. Le fait que le tiers peut, même à juste titre, plaider que son nom ne constitue pas un renseignement vraisemblablement pertinent (art. 4 al. 3 LAAF) ne suffit pas à lui seul à justifier une telle information.

Faits

L’autorité fiscale espagnole adresse une demande d’assistance administrative à l’Administration fédérale des contributions (AFC) au sujet d’un contribuable espagnol. La demande porte sur un contrat de cession conclu entre une société suisse et une société brésilienne au sujet des droits d’image du contribuable. Les noms de plusieurs sociétés brésiliennes tierces sont cités dans le contrat.

L’AFC accorde l’assistance administrative. Sur recours, le Tribunal administratif fédéral constate la nullité de la décision de l’AFC au motif que le droit d’être entendu des sociétés brésiliennes a été violé. Ces sociétés n’ont en effet pas été informées par l’AFC de l’existence de la procédure et ne se sont également pas vu notifier la décision de l’AFC, alors que des informations à leur propos sont transmises (TAF, 08.04.2019, A-6871/2018, résumé in LawInside.ch/815).

L’AFC former un recours en matière de doit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si l’AFC était tenue d’informer les sociétés brésiliennes de l’existence de la procédure d’assistance administrative conformément à l’art. 14 al. 2 LAAF.

Droit

Pour être recevable, le recours doit présenter une question juridique de principe (art. 84a LTF). En l’espèce, le Tribunal fédéral estime que l’étendue du devoir de l’AFC d’informer les tiers dont le nom apparaît dans la documentation destinée à être transmise pose une question de principe déterminante pour la pratique. Il s’agit donc d’une question juridique de principe au sens de l’art. 84a LTF.

Sur le fond, le Tribunal fédéral commence par indiquer que le principe de diligence, concrétisé tant au niveau international (ch. IV par. 6 du Protocole à la CDI CH-ES) qu’en droit interne (art. 4 al. 2 LAAF), s’oppose à ce que la mise en œuvre des garanties procédurales internes entrave de manière disproportionnée la procédure d’assistance.

L’information des personnes tierces habilitées à recourir est consacrée à l’art. 14 al. 2 LAAF. Selon cette disposition, l’AFC informe de la procédure les personnes dont elle peut supposer, sur la base du dossier, qu’elles sont habilitées à recourir (art. 19 al. 2 LAAF). Le devoir d’informer est dépendant de la qualité pour recourir (cf. art. 48 PA).

Le Tribunal fédéral souligne qu’en assistance administrative, la qualité pour recourir d’un tiers qui n’est pas le destinataire de la décision n’est admise que restrictivement et que dans des situations très particulières. En particulier, pour disposer de cette qualité, l’issue de la procédure doit influencer de manière significative la situation du tiers. À cet égard, le simple fait que le nom d’un tiers soit cité dans la documentation à transmettre ne suffit pas à conférer une telle qualité, étant donné que le tiers est en principe protégé par le principe de la spécialité (cf. art. 25bis par. 2 CDI CH-ES). Toujours de l’avis du Tribunal fédéral, ce raisonnement s’applique également si le tiers pouvait, même à juste titre, plaider que son nom ne constitue pas un renseignement vraisemblablement pertinent et qu’il doit à ce titre être caviardé (art. 4 al. 3 LAAF).

Quant à l’étendue du devoir d’information de l’AFC selon l’art. 14 al. 2 LAAF, celui-ci ne s’étend, selon le texte de loi, qu’aux personnes dont l’AFC peut supposer, sur la base du dossier, qu’elles sont habilitées à recourir selon l’art. 19 al. 2 LAAF. Le Tribunal fédéral en conclut que l’AFC ne doit informer de l’existence de la procédure que les personnes dont la qualité pour recourir est évidente. Le simple fait que le tiers soit cité dans la documentation à transmettre n’est à cet égard pas suffisant.

Le Tribunal fédéral justifie cette limitation par le fait que ces personnes disposent d’autres voies de droit, notamment en matière de protection des données. Elle se justifie également au regard des engagements internationaux de la Suisse à mettre en œuvre de manière diligente la procédure d’assistance administrative.

En l’espèce, l’AFC entend communiquer l’identité des sociétés brésiliennes citées dans le contrat de cession. Le seul fait que leurs noms apparaissent dans la documentation faisant l’objet de l’échange ne leur confère pas de manière évidente la qualité pour recourir. Dès lors, l’AFC n’avait pas à informer les sociétés de l’existence de la procédure selon l’art. 14 al. 2 LAAF.

À défaut de violation du droit d’être entendu de ces sociétés, c’est à tort que le Tribunal administratif fédéral a constaté la nullité de la décision de l’AFC.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie l’affaire au Tribunal administratif fédéral afin que celui-ci entre en matière sur le fond, étant donné que la cause n’avait été traitée que sous l’angle du droit d’être entendu.

Note

Le droit des tiers à participer à la procédure implique une tension entre, d’une part, la participation des tiers à une telle procédure et, d’autre part, la mise en œuvre efficace de l’assistance administrative par la Suisse.

Dans son arrêt, le Tribunal fédéral adopte en faveur de la mise en œuvre efficace de la procédure d’assistance une vision particulièrement restrictive de l’intérêt digne de protection du tiers à participer à la procédure d’assistance administrative. Cet intérêt – et l’information de l’existence de la procédure qui y est liée (cf. art. 14 al. 2 LAAF) – n’est accordé au tiers que si celui-ci est évident à la lecture du dossier.

À cet égard, le Tribunal fédéral tranche que la seule apparition du nom du tiers dans la documentation à transmettre ne suffit pas à justifier un tel intérêt, et ce même si le nom en question ne constitue pas un renseignement pertinent au sens de l’art. 4 al. 3 LAAF. De l’avis du Tribunal fédéral, autant contesté que cela puisse paraître vu que l’art. 4 al. 3 LAAF exclut explicitement la transmission d’informations non vraisemblablement pertinentes, il faut des éléments supplémentaires pour retenir l’existence d’un intérêt digne de protection.

Le Tribunal fédéral évoque que cet intérêt peut notamment résider dans (1) un risque concret de violation du principe de spécialité ou (2) dans le fait qu’un juge civil interdise au détenteur des renseignements (tel qu’une banque) de transmettre les données relatives au tiers à la suite d’une procédure en matière de protection des données (cf. ATF 143 II 506, c. 5.2.3 résumé in LawInside.ch/507/).

Ainsi, dans l’hypothèse où un tiers souhaite participer à une procédure d’assistance administrative, il peut s’avérer opportun de saisir le juge civil d’une procédure fondée sur la protection des données afin qu’il soit fait interdiction au détenteur des renseignements de transmettre l’identité du tiers aux autorités étrangères. L’effectivité de la procédure d’assistance administrative souhaitée par le Tribunal fédéral semble ainsi compliquer l’efficacité de la défense du tiers, celui-ci étant amené à intenter une procédure civile parallèle afin de se voir reconnaître un intérêt digne de protection dans la procédure d’assistance administrative.

Quoi qu’il en soit, l’AFC semble accorder la faculté de participer à la procédure aux personnes qui s’annoncent d’eux-mêmes auprès d’elle en sollicitant le caviardage de leurs données personnelles. Dans son arrêt, le Tribunal fédéral se penche sur cette pratique et l’approuve explicitement, estimant qu’elle permet de garantir aux tiers leur droit à l’autodétermination informationnelle.

Cela étant, on ne voit pas comment un tiers pourrait se manifester auprès de l’AFC ou intenter une procédure civile en matière de protection des données s’il n’a pas préalablement été informé de l’existence de la procédure (conformément à l’art. 14 al. 2 LAAF). Il est certes possible qu’un tiers soit informé de l’existence de la procédure par la personne formellement visée par la demande d’assistance. Cela étant, il ne faut pas perdre de vue que le devoir d’information prévu à l’art. 14 al. 2 LAAF est une tâche étatique impartie à l’AFC, qui ne devrait pas être reportée sans limites sur des particuliers impliqués dans la procédure d’assistance.

Le Tribunal fédéral ne se penche pas explicitement sur cette problématique. Il semble toutefois déjà y apporter une réponse. En effet, le Tribunal fédéral semble estimer que même si des personnes n’ont pas pu participer à la procédure, leurs droits sont sauvegardés. Ces personnes peuvent en effet toujours intenter une procédure en matière de protection des données. Elles peuvent également, après la transmission des informations, se défendre auprès de l’État requis (i.e. la Suisse) en sollicitant qu’aucun consentement ultérieur ne soit donné à l’utilisation des renseignements en dehors de la CDI en dérogation du principe de spécialité. Elles peuvent également plaider dans l’État requérant le respect du principe de spécialité et donc s’opposer à ce que les renseignements transmis soient utilisés contre elles.

On peut se questionner sur l’effectivité de cette défense subséquente devant l’État requis ou l’État requérant. En premier lieu, le principe de la bonne foi entre États conduit souvent au fait que l’on ne peut pas douter du respect du principe de spécialité par l’État requérant. En second lieu, l’État requérant reste libre d’intenter subséquemment une procédure d’assistance administrative à l’encontre du tiers, dont il dispose alors déjà une partie voire la totalité des informations. Ce procédé vide le principe de spécialité de sa substance. Il ne semble toutefois pas prohibé. Le Tribunal fédéral indique en effet que le tiers peut faire valoir « dans l’État requérant le respect du principe de spécialité et s’opposer à ce que les renseignements transmis soient utilisés contre elles, à moins qu’une procédure d’assistance administrative ne soit engagée à [son] encontre ».

Proposition de citation : Tobias Sievert, Le devoir d’informer les tiers de l’existence d’une procédure d’assistance administrative, in : https://www.lawinside.ch/949/

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