Registre des poursuites : faut-il faire figurer la poursuite après le rejet de la requête de mainlevée ?
ATF 147 III 41 | TF, 22.06.2020, 5A_656/2019*
Le rejet de la requête de mainlevée du créancier ne fonde pas le poursuivi à demander que la poursuite ne soit pas portée à la connaissance de tiers.
Faits
Un créancier fait notifier un commandement de payer à un individu. Ce dernier forme opposition. Le créancier sollicite la mainlevée de l’opposition, mais le tribunal juge cette requête irrecevable.
Le poursuivi demande à l’office des poursuites que la poursuite ne soit pas portée à la connaissance de tiers, sans succès.
Après épuisement des voies de recours cantonales, le poursuivi recourt auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si une poursuite peut être portée à la connaissance de tiers lorsque le poursuivi a formé opposition et que la requête de mainlevée du créancier n’a pas abouti.
Droit
En principe, les tiers faisant état d’un intérêt vraisemblable peuvent consulter le registre des poursuites (art. 8a al. 1 LP).
Le recourant se réfère à l’art. 8a al. 3 let. d LP pour solliciter la non-divulgation de la poursuite litigieuse. Selon cette disposition, sur demande du débiteur trois mois au moins après la notification du commandement de payer, l’office des poursuites ne porte pas à la connaissance de tiers les poursuites frappées d’opposition pour lesquelles le créancier n’a pas engagé de procédure d’annulation de l’opposition (art. 79 à 84 LP).
Du point de vue de l’interprétation littérale, le texte de la disposition topique est clair : la non-divulgation de la poursuite aux tiers présuppose que le créancier n’ait pas initié de procédure en vue de la levée de l’opposition en temps opportun. Or, en l’espèce, le créancier a agi en mainlevée, bien que sa requête n’ait pas abouti.
S’agissant de l’interprétation historique et téléologique, le Tribunal fédéral relève que l’art. 8a al. 3 let. d LP a été introduit afin de minimiser le risque de porter à la connaissance de tiers des poursuites injustifiées. En effet, un créancier peut faire notifier un commandement de payer sans démontrer le bien-fondé de sa démarche, ce qui comporte un potentiel d’abus. Le législateur a voulu mettre une voie de droit rapide et économique à la disposition du poursuivi pour éviter la divulgation de poursuites infondées. Plusieurs critères pour la non-divulgation ont été envisagés lors du processus législatif. La solution retenue à l’art. 8a al. 3 let. d LP s’appuie sur un critère objectif et facilement vérifiable (soit l’absence de procédure d’annulation de l’opposition trois mois au moins après la notification du commandement de payer). Selon les débats parlementaires, l’absence de prompte démarche ultérieure du créancier constitue un indice du manque de bien-fondé de la poursuite. Ainsi, le législateur a voulu s’appuyer sur un critère bien précis. Contrairement à ce que fait valoir le recourant, l’historique et le but de l’art. 8a al. 3 let. d LP ne justifient pas d’étendre les motifs de non-divulgation au-delà de celui prévu par le texte clair de la loi.
Conformément à ce qui précède, le poursuivi ne peut se fonder sur l’art. 8a al. 3 let. d LP pour solliciter la non-divulgation de la poursuite lorsque le créancier a agi en mainlevée, même si cette requête de mainlevée n’a pas abouti.
Le recourant invoque par ailleurs l’art. 8a al. 3 let. a LP, qui permet au poursuivi de demander la non-divulgation de la poursuite annulée à la suite d’un jugement. À teneur de jurisprudence, cette disposition vise le jugement d’annulation de la poursuite (art. 85, respectivement 85a LP), le rejet de l’action en reconnaissance de dette (art. 79 LP) et l’aboutissement de l’action en libération de dette (art. 83 al. 2 LP). À la différence de ces jugements, le rejet de la requête de mainlevée n’a pas force de chose jugée s’agissant de l’existence de la créance et ne met pas fin à la poursuite. Partant, l’art. 8a al. 3 let. a LP ne fonde pas non plus le poursuivi à requérir la non-divulgation de la poursuite lorsque le tribunal a rejeté la requête de mainlevée.
Cela étant, le poursuivi n’est pas dépourvu de moyens de droit dans une telle situation. Le Tribunal fédéral relève que le législateur a largement allégé les conditions de l’action en annulation de la poursuite selon l’art. 85a LP. Le poursuivi peut ainsi agir en annulation de la poursuite (art. 85a LP), puis, lorsqu’il est au bénéfice du jugement idoine, requérir la non-divulgation de la poursuite selon l’art. 8a al. 3 let. a LP.
Selon les développements qui précèdent, le seul rejet de la requête de mainlevée du créancier ne fonde pas le poursuivi à requérir la non-divulgation de la poursuite. Le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, Registre des poursuites : faut-il faire figurer la poursuite après le rejet de la requête de mainlevée ?, in : https://www.lawinside.ch/957/
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