Autonomie de la clause compromissoire et capacité de discernement

TF, 04.09.2023, 4A_148/2023*

Conformément au principe de l’autonomie de la clause compromissoire (cf. art. 178 al. 3 LDIP), la capacité de discernement s’examine à l’égard de celle-ci indépendamment du contrat de base. Une incapacité de discernement à l’égard du contrat de base n’implique pas nécessairement une telle incapacité à l’égard de la clause d’arbitrage et inversement.

Faits

Un géologue, père de quatre enfants, fonde un groupe de sociétés actif dans le domaine de l’exploration et du forage pétrolier. Le groupe comprend notamment une société néerlandaise et sa filiale, néerlandaise également, ainsi que trois sociétés de droit panaméen. Le géologue et ses quatre fils occupent des postes d’administrateurs dans diverses sociétés du groupe.

Par contrat signé en 2010, la filiale néerlandaise prête à l’une des sociétés panaméennes quatre-vingts millions d’euros. Puis, la société mère néerlandaise prête également à cette dernière le montant de soixante millions d’euros en 2011. Les deux contrats de prêt sont dotés d’une clause compromissoire.

Dès 2015, des doutes apparaissent dans la famille quant à la santé mentale du géologue, alors âgé de 86 ans, et sa capacité à prendre des décisions relatives au groupe. Il apparaît que ce dernier souffre d’une altération de la mémoire et d’un diabète sévère altérant ses facultés physiques et mentales depuis plusieurs années.… Lire la suite

L’examen par le Tribunal fédéral d’une sentence arbitrale ne contenant ni motivation ni constatation de faits

ATF 149 III 338 | TF, 12.05.2023, 4A_41/2023*

Lorsque, en conformité avec le droit procédural choisi librement pour un arbitrage, la sentence ne contient ni motivation juridique ni constatation de faits, le Tribunal fédéral ne peut de facto pas examiner les griefs soulevés par un·e recourant·e.

Faits

En septembre 2022, des parties signent une convention portant sur la résolution d’un litige patrimonial par un tribunal arbitral rabbinique siégeant à Zurich. Selon la traduction libre et non contestée par les parties de l’hébreu vers l’allemand, l’accord prévoit que la résolution du litige se fera selon les procédures réglées par la loi juive (unter den hiefür nach jüdischem Gesetz geregelten Prozeduren).

Le 7 décembre 2022, à la suite d’une audience, le tribunal arbitral rabbinique verse un procès-verbal au dossier. Ce procès-verbal contient un passage intitulé « jugement » (Psak Din), mais précise aussi que les faits doivent être clarifiés davantage. Le 12 janvier 2023, le tribunal arbitral rabbinique rend sa sentence. Elle ne contient ni motivation, ni explications sur les faits, ni considérations juridiques. En effet, en accord avec le droit juif, choisi par les parties, le principe de l’oralité prédomine dans la procédure.

Le défendeur exerce un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral, demandant l’annulation des deux décisions.… Lire la suite

L’arbitre unique et la demande de révision

ATF 149 III 93 | TF, 25.11.2022, 4F_16/2022*

Exceptionnellement, un·e arbitre peut avoir qualité pour former une demande de révision d’un arrêt du Tribunal fédéral (art. 121ss LTF), lorsque ce dernier y admet que les frais arbitraux sont excessifs (art. 393 lit. f CPC) et les réduit. Dans ces circonstances, l’arbitre est directement lésé·e dans ses intérêts et dispose d’un intérêt digne de protection à l’annulation ou à la modification de l’arrêt.

Faits

À la suite d’une procédure arbitrale qui s’est soldée par un accord transactionnel, l’arbitre unique fixe les frais de procédure à CHF 96’600 et les met à la charge du demandeur. Ce dernier exerce un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral, qui réduit les frais à CHF 30’000 (arrêt du Tribunal fédéral 4A_30/2022 du 3 mai 2022).

Par requête du 13 juillet 2022, l’arbitre unique demande la révision de l’arrêt. Le Tribunal fédéral doit déterminer si, dans ces circonstances, l’arbitre dispose de la légitimation active pour le faire.

Droit

Le Tribunal fédéral rappelle que seules les personnes légitimées peuvent demander la révision de l’un de ses arrêts (ATF 144 I 214, c. 2.1, résumé  in LawInside.ch/634).… Lire la suite

Treaty shopping et restructuration en matière d’arbitrage d’investissement

ATF 148 III 330TF, 20.05.2022, 4A_398/2021* 

Le moment de la restructuration est le critère déterminant pour juger d’un abus de droit en matière de treaty shopping. Un litige spécifique doit être prévisible lors de la restructuration pour que celle-ci constitue un abus de droit. La prévisibilité du litige doit être appréciée avec restriction.

Faits

Le 15 janvier 2011, l’ancien président de la République bolivarienne du Venezuela Hugo Chávez prononce un discours devant l’Assemblée nationale vénézuélienne. Il explique vouloir instaurer une loi sur les coûts, les bénéfices et le juste prix.

Une holding états-unienne détient une société vénézuélienne active dans le commerce de produits de nettoyage. Le 15 avril 2011 la holding crée une société de droit espagnol et lui transfère toutes les actions de la société vénézuélienne. La nouvelle société espagnole détient donc l’entier du capital actions de la société sise au Venezuela.

Une partie de la réglementation évoquée par Hugo Chávez dans son discours entre en vigueur en avril 2012. Selon la holding, cette réglementation a pour effet de fixer des prix inférieurs aux coûts de production de 73 % de ses marchandises.

En 2015, la société espagnole initie une procédure arbitrale contre le Venezuela afin d’obtenir des dommages-intérêts sur la base d’un traité bilatéral d’investissement (TBI) convenu entre l’Espagne et le Venezuela.… Lire la suite

La résolution d’une convention d’arbitrage en raison de l’indigence d’une partie

ATF 147 III 586 | TF, 22.09.2021, 4A_166/2021*

L’indigence d’une partie ne constitue pas un juste motif permettant de résoudre une convention d’arbitrage pour vice du consentement, à tout le moins lorsque des mécanismes sont mis en place afin de faciliter l’accès de cette partie à la procédure arbitrale (obiter dictum).

Faits

En 2017, un cycliste professionnel titulaire d’une licence auprès de l’Union Cycliste Internationale (UCI) doit se soumettre à un contrôle anti-dopage. Le rapport du laboratoire d’analyse fait état de la présence de “rhEPO” (érythropoïétine humaine recombinante) dans l’urine du cycliste. Cette substance, qui stimule la production de globules rouges dans le sang, est illicite en vertu des règles anti-dopage applicables. L’UCI ouvre alors une procédure à l’encontre du cycliste et saisit le UCI Anti-Doping Tribunal conformément à ses directives internes. Par décision du juge unique du UCI Anti-Doping Tribunal, le cycliste est condamné à une interdiction de pratiquer de 4 ans ainsi qu’à une amende de EUR 56’000.

À l’encontre de cette décision, le cycliste saisit le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) d’une déclaration d’appel (Statement of Appeal) assortie d’une demande d’aide judiciaire conformément aux Directives sur l’assistance judiciaire au TAS (Request for Legal Aid).… Lire la suite