La condamnation en appel des activistes du climat à Lausanne

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TC VD, 24.09.2020, Jug 2020/333/371

Une manifestation pour la protection du climat organisée dans les locaux d’une banque constitue une violation de domicile qui ne peut être justifiée ni par un état de nécessité licite, ni par la sauvegarde d’intérêts légitimes. 

Les activistes qui demeurent sur les lieux de la manifestation malgré les injonctions de la Police de s’éloigner se rendent par ailleurs coupables d’empêchement d’accomplir un acte officiel au sens de l’art. 286 CP.

Faits

Au mois de novembre 2018, un groupe de 20 à 30 personnes mime une partie de tennis dans une succursale lausannoise de Credit Suisse. L’objectif de leur action est d’attirer l’attention de l’opinion publique – notamment de Roger Federer, qui participe à l’image publicitaire de la banque – sur les investissements de cette dernière dans les énergies fossiles. Ce faisant, les activistes n’empêchent pas les clients d’accéder aux services de Credit Suisse. Près d’une heure plus tard, après les avoir exhortés à quitter les lieux, la Police évacue une partie des manifestant·e·s. La banque dépose une plainte pénale contre douze d’entre eux pour violation de domicile.

En janvier 2020, le Tribunal de Police de l’arrondissement de Lausanne acquitte les activistes, estimant qu’ils et elles ont agi dans un état de nécessité licite (jugement PE19.000742/PCL, résumé in : http://LawInside.ch/875/).

Saisie d’un appel par le Ministère public du canton de Vaud, la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois doit déterminer si c’est à raison que le premier juge a retenu l’existence d’un état de nécessité licite au sens de l’art. 17 CP.

Droit

Après avoir considéré que les prévenu·e·s étaient coupables non seulement de violation de domicile (art. 186 CP), mais aussi d’empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 CP), le Tribunal cantonal se penche sur les motifs justificatifs invoqués par les intéressé·e·s.

La  Cour explique que les art. 17 (état de nécessité licite) et 18 CP (état de nécessité excusable) ne concernent que la protection de biens juridiques individuels, tandis qu’un comportement visant à protéger des intérêts collectifs, tels que l’environnement et le climat, relève pour sa part de l’art. 14 CP. Selon cette disposition, celui qui agit comme la loi l’ordonne ou l’autorise se comporte de manière licite. Cependant, le Tribunal fédéral n’a pas encore déterminé si une norme de rang constitutionnel déployant des effets horizontaux constitue une loi au sens de l’art. 14 CP. Selon la doctrine et la jurisprudence, la liberté de manifestation est protégée par les libertés d’opinion et de réunion combinées (art. 16 et 22 Cst.). Elle découle également des art. 11 CEDH et 21 Pacte ONU II. La Cour précise toutefois qu’en tout état de cause, si ce droit fondamental confère parfois le droit de manifester sur le domaine public, cela n’est pas permis sur les fonds d’autrui. Finalement, la Cour estime qu’en l’espèce, la liberté de manifestation ne déploie aucun effet horizontal et ne constitue pas un fait justificatif au sens de l’art. 14 CP.

Concernant les faits justificatifs extralégaux reconnus par la jurisprudence, tels que la sauvegarde d’intérêts légitimes, la Cour indique qu’ils doivent être soumis à des exigences particulièrement strictes. Ainsi, il est nécessaire que l’acte illicite commis constitue le seul moyen de défendre les intérêts poursuivis, qui doivent en outre être nettement supérieurs aux intérêts protégés par la disposition violée.

Le Tribunal cantonal reconnaît que le réchauffement climatique constitue bien un danger imminent. Il considère cependant que les autorités politiques suisses luttent d’ores et déjà suffisamment activement contre celui-ci et qu’il n’est pas trop tard pour prendre les mesures nécessaires. En outre, il estime que même en admettant que les autorités sont demeurées inactives, l’action des prévenu·e·s n’était pas de nature à limiter les conséquences du dérèglement climatique. La Cour affirme que les manifestant·e·s auraient pu atteindre leur objectif de manière licite, en recourant aux moyens démocratiques à leur disposition. Elle ajoute que bien qu’une action organisée en dehors des locaux de la banque aurait certainement eu moins d’impact, cela ne justifie pas les infractions en cause. Le Tribunal cantonal estime que le principe de subsidiarité absolue n’est pas respecté, de sorte que ni l’état de nécessité licite, ni la sauvegarde d’intérêts légitimes n’entre en ligne de compte pour justifier les agissements des activistes.

Partant, la Cour admet partiellement l’appel du Ministère public et condamne les prévenu·e·s pour violation de domicile et contravention au Règlement général de police de la Commune de Lausanne (RGP). Dix d’entre eux sont également condamnés pour empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 CP).

S’agissant de la fixation de la peine, le Tribunal cantonal octroie une diminution de peine aux deux prévenues qui ont quitté les lieux sur injonction de la Police (en application de l’art. 48 let. a ch. 1 CP, soit le mobile honorable), mais pas aux manifestant·e·s qui n’ont pas obtempéré. En effet, il considère que leur opposition aux forces de l’ordre allait au-delà de leur mobile.

Note

Le raisonnement du Tribunal cantonal dans cet arrêt nous paraît discutable à plusieurs égards. En attendant le verdict du Tribunal fédéral (et peut-être même, à terme, celui de la CourEDH), nous proposons ici quelques pistes de réflexion.

L’absence de motif justificatif

En excluant d’emblée l’application de l’art. 17 CP, l’arrêt de la Cour prête le flanc à la critique. Pour un développement de cette critique, nous renvoyons aux arguments développés par Arnaud Nussbaumer sur le jugement du Tribunal de Police de Renens.

Nous ajoutons cependant que, selon le Tribunal cantonal, les autorités politiques suisses agissent suffisamment pour protéger le climat. La Cour mentionne notamment la Loi sur le CO2 adoptée en septembre 2020 qui, bien qu’elle soit encore insuffisante (elle ne prévoit notamment aucune disposition contraignante à l’égard des banques), représente effectivement un progrès indiscutable par rapport à la situation actuelle. Or, cette révision démontre précisément que les actions des activistes climatiques ont un impact tangible sur les décisions des autorités politiques en matière d’environnement. En effet, c’est entre autres à la faveur des Grèves du Climat que le Conseil des Etats a sauvé le projet et revu à la hausse les ambitions du Conseil fédéral (cf. Cramer, in : BO 2019 E 829 ; cf. ég. Rouiller Félise, Révision de la Loi fédérale sur la réduction des émissions de CO2, PJA 2020, p. 213 N 2). Ainsi, le Tribunal cantonal peine à convaincre lorsqu’il soutient que l’action des manifestant·e·s est inapte à contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique.

La condamnation pour empêchement d’accomplir un acte officiel

La condamnation de la majorité des activistes pour empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 CP), en sus de la violation de domicile, nous paraît problématique du point de vue de la liberté de manifestation, ce d’autant plus que cette infraction n’avait pas été envisagée aux précédents stades de la procédure. En effet, le Ministère Public n’a pas mentionné cette disposition au moment de son appel, mais juste avant les débats et à l’initiative du Tribunal cantonal. Cette manière de procéder est pour le moins étonnante. À cet égard, nous souscrivons entièrement au point de vue de la Juge Aleksandra Fonjallaz, laquelle explique dans un avis dissident que la condamnation des prévenu·e·s pour infraction à l’art. 286 CP n’est conforme ni à la CEDH, ni à la jurisprudence du Tribunal fédéral.

Dans son opinion dissidente, la Juge Fonjallaz se réfère à la jurisprudence de la CourEDH relative à la liberté de manifestation et relève qu’une manifestation pacifique ne doit en principe pas faire l’objet d’une menace de sanction pénale (Akgöl et Göl c. Turquie, § 43). En effet, le contraire aurait pour conséquence de vider la protection de l’art. 11 CEDH de son contenu (Uebersax, La liberté de manifestation, in : RDAF 2006 I 28, pp. 37-38). Il convient de rappeler que la manifestation s’est déroulée sans aucune violence, n’a duré qu’une cinquantaine de minutes et n’a pas causé de dommages au Credit Suisse. L’action était ainsi totalement pacifique et « bon enfant ».

Les activistes n’ont pas collaboré avec les forces de l’ordre afin de pouvoir poursuivre leur action, et non pour empêcher la Police de faire son travail. En cela, la manifestation du cas d’espèce se distingue fondamentalement de celle dont il était question dans l’ATF 129 IV 9 auquel la Cour fait référence dans son arrêt. Le Tribunal fédéral y avait considéré que la perturbation temporaire du transport de déchets nucléaires constituait une action avant tout dénonciatrice et symbolique, non propre à protéger concrètement l’environnement.

Comme le souligne encore la Juge Fonjallaz, le droit fédéral ne règle pas les infractions contre l’autorité de manière exhaustive. Ainsi, lorsque le comportement incriminé n’atteint pas l’intensité requise par l’art. 286 CP – notamment car il ne peut être qualifié d’actif – le droit cantonal, respectivement communal, s’applique. En l’espèce, aux yeux de la Juge minoritaire, le comportement des manifestant·e·s resté·e·s sur les lieux de la manifestation constitue une contravention au RGP de la Ville de Lausanne. S’il ne trouvait pas application dans un cas comme celui d’espèce, ce règlement serait dénué de toute portée.

Une remarque conclusive

La désobéissance civile pacifique (soit « le refus assumé et public de se soumettre à une loi, un règlement, une organisation ou un pouvoir jugé inique par ceux qui le contestent, tout en faisant de ce refus une arme de combat pacifique ») devrait être  justifiée et donc à l’abri de toute sanction pénale dans certaines situations exceptionnelles – conception que le Tribunal fédéral lui-même partage visiblement (cf. ATF 129 IV 6, c. 3.1). La problématique environnementale actuelle peut précisément être qualifiée d’exceptionnelle dans la mesure où, pour reprendre les termes du Conseil fédéral, « les changements climatiques, la consommation excessive de ressources et la perte de biodiversité constituent des risques menaçant les fondements de notre vie » (Conseil fédéral, Environnement Suisse 2018, admin.ch, p. 6 s.).

Une partie de la population suisse, inquiète de constater l’absence de réelles mesures, investit son temps et son énergie pour tenter d’enrayer ce phénomène avec les moyens à sa disposition. La lecture que le Tribunal cantonal vaudois fait du Code pénal l’amène de façon regrettable à qualifier de délinquant·e·s un groupe de jeunes qui, sans causer le moindre dommage, s’est contenté de dénoncer les activités de l’un des poids lourds de la place financière helvétique, contribuant ainsi à réduire les dangers liés aux investissements charbonnés du Credit Suisse.

Le droit doit pouvoir évoluer avec la société. Quoi qu’en disent les juges vaudois, le processus législatif, en raison de sa lenteur, n’est pas toujours adapté aux situations urgentes (ou aux dangers imminents, pour reprendre les termes du Tribunal cantonal vaudois) comme celle dont il est ici question. Ainsi, en attendant l’adoption d’instruments légaux adaptés, les tribunaux ont sans doute un rôle correctif à jouer, en particulier lorsque la stricte application de la loi conduit à un résultat inadmissible dans un cas concret, comme en cas de disproportion grossière des intérêts. Selon nous, une telle disproportion est donnée lorsque sont en jeu le droit à la vie d’un côté et, de l’autre, des intérêts purement financiers. Les juges pourraient à notre sens dégager des solutions reconnaissant que le droit de tout un chacun à un environnement sain est plus important que celui (de Credit Suisse) au respect de son droit de propriété et, surtout, de son droit de polluer. Certains tribunaux cantonaux semblent déjà amorcer ce virage (jugement AARP/339/2020 de la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise, résumé in : lien à venir).

Finalement, à ceux qui verraient dans le raisonnement ci-dessus une menace inacceptable pour la sécurité du droit, il convient de rappeler que « (…) l’irruption de l’éthique au sein de l’ordre juridique a un prix, celui d’une certaine insécurité juridique au service d’un résultat plus juste » (CR CC I, Christine Chappuis, art. 2 CC N 61).

Pour une réflexion plus large sur la possibilité de protéger l’environnement par le biais des droits fondamentaux, cf. Marion Chautard, Le droit fondamental à un environnement sain, de 2000 à 2020, in : Quid ? Fribourg Law Review 1/2020.

Proposition de citation : Marion Chautard, La condamnation en appel des activistes du climat à Lausanne, in : www.lawinside.ch/987/