Le plan d’affectation partiel du projet de parc éolien « Eoljoux »

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ATF 149 II 86 | TF, 27.01.2023, 1C_240/2021*

(i) Un projet tel qu’un parc éolien, ayant une incidence importante sur l’environnement, doit avoir un ancrage suffisant dans le plan directeur cantonal pour faire l’objet d’une planification d’affectation. Cela présuppose que le projet soit approuvé en coordination réglée (art. 5 al. 2 lit. a OAT). En cas de refus du Conseil fédéral de délivrer une telle approbation, une commune peut demander que le degré de coordination du plan directeur soit contrôlé à titre incident dans le cadre de l’examen de la planification d’affectation, afin de vérifier si le plan expose suffisamment comment le projet est coordonné avec les autres intérêts en présence.

 (ii) Un projet d’énergie renouvelable qui atteint une certaine taille et une certaine importance revêt un intérêt national qui permet d’envisager une dérogation à la règle selon laquelle un objet inscrit à l’IFP doit être conservé intact (art. 12 al. 3 LEne, art. 6 al. 2 LPN). Une telle dérogation n’est toutefois pas automatique, elle suppose une pondération complète des intérêts concrètement en jeu. La coordination ne peut être qualifiée de réglée lorsque les atteintes que provoque le projet ne peuvent être conciliées avec les objectifs de protection de l’Inventaire fédéral de la protection du paysage.

Faits

Afin de protéger le Grand Tétras et le paysage, la zone « Vallée de Joux et Haut Jura » est classée à l’Inventaire fédéral de la protection du paysage (l’Inventaire ou IFP). Compte tenu du potentiel éolien intéressant de la Vallée de Joux, un projet de parc éolien initié par trois communes de la région, nommé Eoljoux, est néanmoins localisé sur le territoire de la commune du Chenit, et plus précisément, sur des parcelles comprises dans l’objet de l’Inventaire. Le Conseil d’État du canton de Vaud demande en conséquence à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) d’adapter le périmètre de l’objet de l’Inventaire afin de permettre la réalisation du projet.

Le projet fait l’objet de différentes procédures parallèles, dont l’adoption du plan partiel d’affectation Eoljoux ainsi qu’une demande d’autorisation pour les défrichements nécessaires à la réalisation du plan partiel d’affectation. Ces deux objets sont mis à l’enquête.

Plusieurs associations environnementales forment opposition contre le plan partiel d’affectation Eoljoux. La commune lève les oppositions et adopte le plan. Le Département cantonal du territoire et de l’environnement approuve préalablement le plan partiel d’affectation à la condition que le périmètre de l’objet l’Inventaire soit modifié ou que la comptabilité du projet à l’IFP soit constatée et que l’autorisation de défricher soit délivrée. Les associations environnementales recourent contre cette décision devant la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

En parallèle, le canton sollicite la modification du plan directeur cantonal (PDC) en vue d’y intégrer le projet Eoljoux en « coordination réglée ». Cette procédure est initialement suspendue dans le cadre de la procédure d’approbation fédérale jusqu’à la décision du Conseil fédéral sur la modification du périmètre de l’objet de l’Inventaire. Le Conseil fédéral approuve finalement l’adaptation du plan directeur cantonal concernant notamment les mesures relatives à la gestion de l’énergie. Le projet Eoljoux y figure avec la mention « intégré sous réserve de la coordination relative à l’Inventaire ».

En définitive, le périmètre de l’objet répertorié à l’Inventaire fédéral n’est pas modifié et la démarche abandonnée. Dans le contexte de cette procédure, l’OFEV avait notamment requis l’avis de la Commission fédérale pour la protection de la nature et du paysage (CFNP) au sujet de la demande de modification de l’Inventaire. Selon la commission, une intégration du projet dans l’objet IFP aurait porté atteinte aux objectifs de protection de cet objet. Quant à la modification sollicitée, elle aurait porté une atteinte sérieuse à l’objet IFP.

Lors de la mise à l’enquête du défrichement, plusieurs associations gouvernementales forment opposition. La Direction cantonale générale de l’environnement (DGE) lève les oppositions et autorise le défrichement définitif dans le cadre du plan partiel d’affectation Eoljoux. Les associations environnementales et l’OFEV recourent contre cette décision au Tribunal cantonal. Cette cause est jointe au recours contre l’approbation du plan partiel d’affectation. Le Tribunal cantonal admet le recours, annule le plan partiel d’affectation et les décisions cantonales et communales y afférentes.

La commune du Chenit, qui invoque son autonomie en matière d’aménagement local du territoire, interjette alors un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral. Ce dernier doit déterminer s’il était possible d’approuver le plan d’affectation et si le refus d’approuver le projet en « coordination réglée » l’a été à bon droit.

Droit

A titre préliminaire, le Tribunal fédéral rappelle le raisonnement du Tribunal cantonal ainsi que les critiques de la recourante. Le Tribunal cantonal a retenu que le parc Eoljoux demeurait au stade de la coordination, si bien qu’il n’était pas possible d’approuver un plan partiel d’affectation le concrétisant. Il a également jugé que les autorités fédérales avaient raison de refuser d’intégrer le projet au PDC en coordination réglée vu les impacts importants sur le paysage et le biotope. Quant à la commune, elle soutient que le projet Eoljoux aurait dû figurer dans le PDC en coordination réglée (art. 5 al. 2 let. a OAT). Selon elle, au vu de l’entrée en vigueur de l’art. 12 LEne le 1er janvier 2018, le projet remplissait matériellement les conditions pour faire l’objet d’une coordination réglée et aurait automatiquement dû être traitée comme telle. Il bénéficiait dès lors d’une assise suffisante dans le plan directeur cantonal pour faire l’objet d’une planification d’affectation.

Le Tribunal fédéral rappelle ensuite que les projets ayant une incidence importante sur l’environnement et le territoire doivent figurer dans le plan directeur (art. 8 al. 2 LAT, art. 8b LAT). Tel est en l’espèce le cas du projet Eoljoux. Une assise suffisante dans le plan directeur cantonal permet au projet de faire l’objet d’une planification d’affectation. L’ancrage dans un plan directeur présuppose que le projet soit approuvé en coordination réglée conformément à l’art. 5 al. 2 lit. a OAT. En effet, le plan directeur doit montrer comment les activités ayant des effets sur l’organisation du territoire sont coordonnées. Les questions de principe relatives à l’implantation et au dimensionnement doivent ainsi déjà avoir été réglées à la suite d’une pondération complète et motivée des intérêts.

Le Tribunal fédéral poursuit en relevant que l’utilisation des énergies renouvelables revêt un intérêt national (art. 12 al. 1 LEne). A partir d’une certaine taille et d’une certaine importance – que le projet Eoljoux atteint –, les installations en question revêtent plus précisément un intérêt national au sens de l’art. 6 al. 2 LPN (art. 12 al. 2 LEne). Lors de l’examen de la pesée des intérêts dans le cadre d’une demande d’autorisation d’un projet, cet intérêt doit alors être considéré comme équivalent aux autres intérêts nationaux. Cela a pour conséquence qu’il est possible d’envisager une dérogation à la règle suivant laquelle un objet inscrit dans l’Inventaire doit être conservé intact (art. 12 al. 3 LEne, cf. ég. art. 6 al. 2 LPN). La pesée des intérêts doit néanmoins être effectuée au cas par cas. Son objectif est d’optimiser le projet afin de réduire les perturbations et de prendre en compte tous les intérêts de manière la plus complète possible (art. 3 al. 1 lit. c OAT). En matière d’énergie éolienne, la construction et l’exploitation des installations doit ainsi réduire le risque de perturbations à un niveau compatible avec la protection des biotopes et des espèces. Il convient également de compenser les atteintes résiduelles par des mesures de remplacement.

En l’espèce, le Tribunal fédéral constate que le projet Eoljoux a été intégré à la planification directrice cantonale. Celle-ci n’a cependant pas été approuvée sans réserve par les autorités fédérales et le projet n’a jamais atteint le stade de la coordination réglée. La procédure d’approbation fédérale est en effet suspendue à une décision quant à la modification du périmètre de l’objet de l’Inventaire. Contrairement à ce que soutient la recourante, l’entrée en vigueur de l’art. 12 LEne n’a pas pour conséquence que la coordination du parc Eoljoux aurait dû être considérée comme automatiquement réglée au sens de l’art. 5 al. 2 lit. a OAT. En effet, la dérogation à la règle suivant laquelle un objet inscrit dans un inventaire au sens de l’art. 5 LPN doit être conservé intact n’est possible qu’au prix d’une pesée complète des intérêts (art. 6 al. 2 LPN).

La commune soutient qu’elle doit pouvoir contester, dans le cadre de la procédure d’adoption du plan partiel d’affectation, le refus des autorités fédérales d’approuver le projet Eoljoux en coordination réglée dans le plan directeur cantonal. Le Tribunal fédéral lui donne raison sur ce point. Il relève que l’approbation d’un plan directeur par le Conseil fédéral (art. 11 LAT) revêt un caractère constitutif pour les éléments du plan directeur cantonal ayant une portée supracantonale. Elle n’exclut toutefois pas la contestation ultérieure de la décision cantonale d’adoption du plan directeur. A l’inverse, en cas de refus d’approbation, il n’est pas possible de contester la décision cantonale puisque celle-ci « perd son existence juridique ».

En l’espèce, le Conseil fédéral a refusé d’approuver le parc Eoljoux en coordination réglée. Aucune voie de recours n’était ouverte contre cette décision. Or, comme le plan directeur cantonal est contraignant pour la commune en tant qu’il l’empêche de réaliser le projet, elle doit donc pouvoir le faire contrôler à titre incident. En effet, la procédure d’approbation fédérale ne saurait restreindre les possibilités de recours. Le plan directeur doit pouvoir faire l’objet d’un examen afin de vérifier s’il expose suffisamment comment le projet est coordonné avec les autres intérêts en présence et contient des indications sur l’implantation et l’ampleur du projet, reposant sur une pesée complète des intérêts. A ce stade, ceci n’a fait l’objet que d’un premier examen juridique provisoire par le Conseil fédéral.

Sur ce point, le Tribunal fédéral relève que l’OFEV et la CFNP sont arrivés à la conclusion qu’il convenait de renoncer à inscrire le projet Eoljoux en coordination réglée en raison des atteintes sévères à la nature et au paysage, notamment de la mise en danger des Grands Tétras (espèce protégée au de l’art. 7 LChP). A la suite d’une vision locale, le Tribunal cantonal a également constaté que l’implantation des éoliennes risquait de porter atteinte au paysage de la zone en question, particulièrement caractéristique de l’objet IFP. Dans ces circonstances, le Tribunal fédéral considère que la coordination des intérêts nationaux liés à la protection du biotope du Grand Tétras et à la protection du paysage, d’une part, et l’intérêt national à la production d’énergie renouvelable, d’autre part, n’a pas été valablement opérée et n’apparaît pas réglée au sens de l’art. 5 al. 2 lit. a OAT. Partant, le refus du Conseil fédéral d’approuver le projet en coordination réglée ne viole pas le droit fédéral. Le Tribunal fédéral précise que rien n’empêche en revanche le canton de modifier le plan directeur en y apportant les éléments nécessaires manquants, démontrant comment le projet peut être concilié avec la protection de la nature et du paysage.

Le Tribunal fédéral finit par constater que, faute de coordination réglée, le projet ne peut faire l’objet d’une planification d’affectation, ni d’une autorisation de défricher. Partant, c’est à juste titre que le Tribunal cantonal a annulé le plan d’affectation et l’autorisation de défricher.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral rejette le recours de la commune.

Proposition de citation : Margaux Collaud, Le plan d’affectation partiel du projet de parc éolien «  Eoljoux  », in : https://www.lawinside.ch/1328/