L’action en contestation négative de l’état de collocation en présence d’un dividende nul

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ATF 149 III 362TF, 25.04.2023, 5A_869/2021*

Le créancier intentant une action en contestation négative de l’état de collocation, en présence d’un dividende de faillite supposé nul, ne peut invoquer l’intérêt de la masse à l’établissement correct de l’état de collocation, à l’exclusion de tout intérêt propre, à titre d’intérêt digne de protection.

Faits

A la suite du départ de son unique administrateur, la liquidation d’une société par voie de faillite est prononcée pour carence dans son organisation. Dans ce contexte, l’Office des faillites établit l’état de collocation faisant état de trois créanciers : une société créancière, l’ancien administrateur unique (également actionnaire de la société créancière) et un troisième créancier. Le dividende de faillite prévu est nul.

Par la suite, la société créancière et l’ancien administrateur intentent séparément deux actions en contestation négative de l’état de collocation visant à évincer les créances du troisième créancier. Après que l’action de la société créancière a été rejetée, respectivement que l’ancien administrateur a été partiellement débouté par les instances cantonales, ces deux demandeurs saisissent le Tribunal fédéral tant d’un recours en matière civile que d’un recours constitutionnel subsidiaire.

Le Tribunal fédéral est principalement amené à trancher la question de savoir si un créancier peut, en présence d’un dividende de faillite supposé nul, uniquement invoquer l’intérêt de la masse en faillite pour intenter une action en contestation négative de l’état de collocation.

Droit

L’art. 250 al. 2 LP prévoit que le créancier contestant une créance ou le rang auquel elle a été colloquée dirige l’action contre le créancier concerné. Si le juge déclare l’action fondée, le dividende afférent à cette créance est dévolu au demandeur jusqu’à concurrence de sa créance, y compris les frais de procès. Le surplus éventuel est distribué conformément à l’état de collocation rectifié. En outre, l’art. 260 LP prévoit que chaque créancier peut demander à la masse la cession de prétentions que l’ensemble des créanciers renonce à faire valoir (al. 1) ; le produit, déduction faite des frais, sert à couvrir les créances des cessionnaires dans l’ordre de leur rang et l’excédent est versé à la masse (al. 2).

Le Tribunal fédéral analyse trois possibilités pour un créancier de fonder un intérêt digne de protection à l’action en contestation négative de l’état de collocation en présence d’un dividende prévu nul.

D’abord, un créancier dispose d’un tel intérêt lorsque l’action vise à empêcher le créancier défendeur de se faire céder le droit de la masse d’agir en responsabilité contre le créancier demandeur en tant qu’organe de la société.

Ensuite, un créancier a un intérêt digne de protection à l’action en contestation négative de l’état de collocation, malgré un dividende supposé nul, s’il s’est fait ou a manifesté sa volonté de se faire céder une prétention contre un tiers (art. 260 al. 1 LP) et veut éviter de partager un éventuel gain avec le créancier défendeur qu’il désire exclure.

Finalement, le Tribunal fédéral analyse la possibilité pour un créancier d’invoquer l’intérêt de la masse en faillite à titre d’intérêt digne de protection. A cet égard, le Tribunal fédéral retient qu’en principe, un créancier dispose d’un intérêt digne de protection à l’action en contestation négative de l’état de collocation s’il peut obtenir quelque chose pour la masse dans le cas où il est lui-même déjà entièrement satisfait. Néanmoins, dans le cas d’un dividende présumé nul, l’intérêt pécuniaire fait défaut de sorte que l’action en contestation négative de l’état de collocation ne permet pas, tant du point de vue de la masse que de celui des créanciers, d’obtenir un gain pécuniaire. En outre, bien que l’état de collocation soit déterminant pour une éventuelle faillite subséquente, la simple possibilité théorique d’une faillite subséquente ne suffit pas pour fonder un intérêt digne de protection. Par conséquent, le créancier intentant une action en contestation négative de l’état de collocation doit, en cas de dividende supposé nul, exposer son propre intérêt digne de protection de manière concrète et ne peut pas se prévaloir uniquement de l’intérêt de la masse à l’établissement correct de l’état de collocation.

En l’espèce, la société créancière n’est pas organe de la société en faillite. Bien que l’ancien administrateur unique de la société en faillite soit actionnaire de la société créancière, le Tribunal fédéral retient que l’intérêt de la société créancière à la protection de ses actionnaires contre une éventuelle action en responsabilité intentée par un autre créancier ne permet pas de fonder un intérêt digne de protection à l’action en contestation négative de l’état de collocation, la société créancière et son actionnaire étant deux sujets de droit distincts. A l’inverse, le Tribunal fédéral reconnaît sans réserve l’intérêt digne de protection de l’ancien administrateur à la lumière de cette hypothèse.

De plus, la recourante n’a pas fait valoir qu’elle s’était faite céder des droits contre des tiers ou qu’elle avait l’intention de se les faire céder. La simple existence d’une créance litigieuse dans l’état de collocation ne suffit pas à fonder un intérêt digne de protection à l’action en contestation négative de l’état de collocation par cette voie.

Finalement, la recourante se prévaut uniquement de l’intérêt de la masse à l’établissement correct de l’état de collocation et n’a pas démontré son propre intérêt digne de protection à l’action en contestation négative de l’état de collocation. Par conséquent, le Tribunal fédéral rejette l’existence de l’intérêt digne de protection de la recourante.

Le recours est rejeté.

Proposition de citation : Victor Sellier, L’action en contestation négative de l’état de collocation en présence d’un dividende nul, in : https://www.lawinside.ch/1360/