Validité d’une règle soumettant la modification du règlement d’une PPE à une majorité de deux tiers

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TF, 15.08.2023, 5A_100/2020*

L’art. 712g al. 3 CC ne s’oppose pas à ce que le règlement d’utilisation et d’administration prévoie des règles de majorité plus strictes.

Faits

Un complexe comprenant notamment un hôtel, un restaurant et des appartements est constitué en propriété par étages, laquelle est divisée en 37 parts d’étages. L’exploitante du complexe est propriétaire de la part d’étage dont le droit exclusif porte sur l’hôtel et le restaurant. Celle-ci représente 330/1000 de la valeur des parts.

Les clients du restaurant qui ne séjournent pas à l’hôtel n’ont pas accès à la piscine, au jardin et à certaines autres parties communes. Par conséquent, l’exploitante se considère en droit d’obtenir une réduction de sa participation aux charges communes en vertu de l’art. 712h al. 3 CC.

Lors de l’assemblée générale des propriétaires d’étages, l’exploitante propose de modifier la répartition des charges communes, de manière qu’elle obtienne une réduction de 25 % de celles-ci. Sa proposition obtient 17 voix pour et 16 voix contre. Le règlement d’administration et d’utilisation prévoit que ses dispositions ne peuvent être modifiées que moyennant les deux tiers des voix. Partant, l’objet est rejeté.

L’exploitante ouvre action contre la communauté des copropriétaires, en vue de faire constater que l’objet a été valablement adopté par l’assemblée générale, conformément aux majorités prévues par l’art. 712g al. 3 CC. L’exploitante obtient gain de cause en première instance. Ensuite, le Tribunale d’appello du Tessin admet l’appel formé par la communauté des copropriétaires.

L’exploitante recourt contre cette décision au Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur la validité l’exigence de majorité plus stricte que celle prévue par le droit de la propriété par étages.

Droit

L’art. 712g al. 3 CC dispose qu’un règlement d’administration et d’utilisation peut être adopté et modifié à la majorité des copropriétaires représentant en outre au moins la moitié de la valeur des parts. La question de la validité d’une clause prévoyant une exigence de majorité plus élevée que celle prévue par la disposition précitée divise la doctrine. Si pour certains auteurs, de telles règles de majorité devraient être d’emblée exclues, pour d’autres elles pourraient être admises dans le respect de certaines limites.

Selon le Message du Conseil fédéral (FF 1962 II 1445, 1476  s.), la double majorité prévue par l’art. 712g al. 3 CC repose sur des objectifs de protection des minorités au sein de la communauté de copropriétaires. Il s’agit en particulier d’éviter qu’une minorité de copropriétaires représentant la majorité des parts puisse imposer des règles à la majorité, voire engendrer une situation de blocage susceptible d’entraver l’administration et le développement communautaire. Une telle situation contreviendrait au droit de chaque copropriétaire de proposer l’adoption ou la modification du règlement. À l’inverse, les minorités détenant une grande partie des parts ne sauraient se voir imposer de telles modifications trop facilement. Dans la mesure où ces deux objectifs sont assurés, rien ne justifie de s’opposer à des exigences de majorité plus strictes que celles prévues par l’art. 712g al. 3 CC. Ainsi, une majorité de deux tiers, voire de trois cinquièmes, devrait être, en principe, admissible. Il en va néanmoins autrement d’une règle subordonnant toute modification à l’unanimité.

En l’espèce, l’exploitante ne prétend pas que la majorité prévue par le règlement nuirait à l’administration et au développement communautaire. Bien qu’elle prétende que le règlement contrevient à la protection des minorités, elle ne se voit pas imposer de modification du règlement, puisque c’est elle qui a proposé un tel objet. À l’inverse, le règlement se révèle davantage protecteur des minorités, dans la mesure où un tiers des voix permet déjà de s’opposer à toute modification. Même en considération de la valeur de sa part (330/1000) au regard de celles des autres copropriétaires (670/1000, à raison de parts entre 8/1000 et 39/1000), l’exploitante ne risque pas de se voir imposer une modification par des copropriétaires représentant une faible partie de la valeur des parts.

Pour ces raisons, le Tribunal fédéral considère que le règlement ne viole pas l’art. 712g al. 3 CC. Par conséquent, la majorité requise pour la modification de la répartition de la participation aux charges communes n’est pas atteinte. Le recours est donc rejeté.

Note

L‘arrêt n’est pas explicite quant au type de majorité, à savoir la majorité des parts ou des copropriétaires, auquel le règlement peut déroger. S’il est possible de renforcer l’exigence de majorité des parts, cela augmenterait drastiquement les situations de blocage. Par exemple, si un règlement subordonne sa modification à l’accord de la majorité des copropriétaires représentant en outre les deux tiers des parts, un seul copropriétaire disposant de plus d’un tiers des parts pourrait, à lui seul, s’opposer à toute modification.

Une telle situation constituerait un blocage auquel semble s’opposer l’objectif exprimé dans Message du Conseil fédéral cité dans l’arrêt, qui entend trouver un point d’équilibre entre la protection des minorités d’une part et le développement de l’ordre communautaire d’autre part. Admettre la possibilité de renforcer les exigences de majorité prévues par art. 712g al. 3 CC renforce, certes, la position des minorités à l’égard des décisions auxquelles elles n’adhèrent pas. Toutefois, cela a pour effets de durcir les possibilités de modifications de règlement et, par conséquent, de freiner le développement communautaire. Le point d’équilibre prescrit par la disposition se trouve donc renversé par de telles exigences.

On peut regretter que le Tribunal fédéral n’ait pas davantage clarifié la situation, suscitant ainsi de nombreuses questions pratiques. On peut en particulier se demander dans quelle mesure un renforcement des exigences est admissible. L’arrêt admet l’exigence d’une majorité de deux tiers, mais proscrit une exigence d’unanimité. Dans cette fourchette, on peut se demander où se trouve la limite. On peut espérer que la jurisprudence précise à l’avenir les limites entre lesquelles peut osciller le point d’équilibre fixé par l’art. 712g al. 3 CC (cf. ég. Amédéo Wermelinger, Quand la clarification n’apporte pas la clarté, discussion de l’arrêt 5A_100/2020 du Tribunal fédéral, in : Newsletter immodroit.ch octobre 2023 ; BK-Meier-Hayoz/Rey, CC 712g N 87 ss).

Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, Validité d’une règle soumettant la modification du règlement d’une PPE à une majorité de deux tiers, in : https://www.lawinside.ch/1378/