Principe in dubio pro duriore et expertise de crédibilité d’un·e enfant

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TF, 24.10.2023, 7B_28/2023

Il n’y a pas de violation du principe in dubio pro duriore lorsque le classement (art. 319 al. 1 lit. a CPP) intervient à la suite d’une enquête approfondie ne révélant aucun moyen de preuve objectif, y compris une expertise de crédibilité d’une enfant supposément victime de violences sexuelles de la part de son père.

Faits

À la suite d’un divorce, la garde d’une enfant est attribuée à sa mère, tandis que son père dispose d’un droit de visite. Dès le divorce, l’exercice du droit de visite représente une source de conflit entre les parents.

Cinq ans après le divorce, la mère dépose une plainte pénale contre le père, pour de prétendus actes d’ordre sexuel commis sur leur fille, alors âgée de sept ans. D’autres accusations s’y ajoutent ensuite : viols multiples, contraintes sexuelles multiples, pornographie et menaces, toujours au détriment de l’enfant.

À la suite du classement de la procédure par le Ministère public soleurois, la mère saisit l’Obergericht, sans succès. Elle exerce ensuite un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral, lequel doit examiner si l’instance précédente a pu nier sans arbitraire l’existence de soupçons suffisants, ce qui justifierait un classement (art. 319 CPP).

Droit

Selon l’art. 319 al. 1 lit. a CPP, le Ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’est établi. Le principe in dubio pro duriore impose de poursuivre la procédure pénale lorsqu’une condamnation semble plus probable qu’un acquittement et qu’une ordonnance pénale n’est pas envisageable. Il s’applique également en règle générale lorsque les chances d’acquittement et de condamnation semblent s’équilibrer, en particulier pour les infractions les plus graves.

Dans l’appréciation de ces éléments, le Ministère public et les instances précédentes disposent d’une certaine marge d’appréciation, et le Tribunal fédéral ne doit intervenir qu’avec retenue. Il n’examine que l’arbitraire de l’appréciation des preuves à la lumière du principe in dubio pro duriore ; autrement dit, il lui revient d’examiner si l’instance précédente a tiré des conclusions arbitraires sur la base de preuves claires, ou a admis arbitrairement certains faits comme étant clairement établis.

La conclusion de l’Obergericht, selon laquelle on est en présence d’un cas clair justifiant un classement, se fonde sur une administration complète des preuves, en particulier : auditions de la victime supposée, enregistrement d’un entretien entre elle et un médecin, perquisitions, fouilles et exploitation du téléphone portable et des supports de données de l’intimé, déclarations de la mère de la victime supposée et d’autres personnes appelées à donner des renseignements, ainsi qu’une quinzaine de prises de position écrites de la recourante sur de prétendues nouvelles déclarations de la victime supposée.

Puisqu’aucun moyen de preuve objectif ne permettait de fonder des soupçons relatifs aux infractions alléguées, seules les déclarations de l’enfant auraient pu justifier une mise en accusation. Toutefois, l’expertise de crédibilité menée sur la victime supposée a mis en évidence une grande inconstance. Selon cette expertise, les déclarations de la victime supposées étaient à ce point incohérentes à différents moments de l’instruction que cela plaidait contre le fait qu’il s’agisse de véritables souvenirs, vécus et observés.

L’expertise conclut que les accusations ont été formulées dans des conditions hautement suggestives. Autrement dit, les conditions nécessaires au développement de pseudo-souvenirs chez l’enfant étaient idéalement réunies. L’expertise souligne également qu’une influence aussi extrême et systématique se rencontre rarement dans la pratique médico-légale.

L’Obergericht pouvait donc, sans violer le droit fédéral, considérer que le cas justifiait un classement au sens de l’art. 319 al. 1 lit. a CPP. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Camille de Salis, Principe in dubio pro duriore et expertise de crédibilité d’un·e enfant, in : https://www.lawinside.ch/1386/