Exigibilité d’un chemin d’école enfantine pour un enfant de 4 à 6 ans

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TF, 29.09.2023, 2C_562/2022

Les enfants qui fréquentent l’école enfantine sur une base volontaire ne bénéficient pas de la garantie de l’art. 19 Cst. Ils bénéficient uniquement des garanties prévues dans les lois cantonales. S’agissant du chemin de l’école, il n’est pas arbitraire de considérer qu’un enfant de 4 à 6 ans peut utiliser un transport public sans accompagnement, marcher sur une route principale sans véritable trottoir et traverser un pont à une seule voie sans surface de marche séparée, lorsque certaines mesures notamment d’instruction ont été prises.

Faits

Une enfant de 4 ans débute l’école enfantine dans le canton des Grisons. A cette occasion, elle reçoit une instruction pour le chemin d’école par le policier scolaire. S’agissant du chemin d’école, elle doit parcourir une distance de 250 m pour prendre le bus. Ensuite, le trajet en bus dure 8 minutes. Finalement, 350 m la séparent de l’école. Cette dernière partie du trajet ne dispose pas d’un trottoir conforme aux normes. En outre, les enfants sont accompagnés par un adulte durant les mois d’hiver.

Au vu de la dangerosité du chemin de l’école, les parents de l’enfant informent la direction de l’école qu’ils jugent l’instruction donnée insuffisante. La direction met en place une nouvelle instruction pour les enfants et les responsables légaux. Elle prévoit également une instruction élargie des chauffeurs de bus pour la surveillance des enfants scolarisés et des mesures concernant la descente du bus et le temps d’attente dans la cour de l’école.

Les parents demandent des mesures supplémentaires. Ils requièrent un transport scolaire gratuit pour leur enfant jusqu’à l’âge de 7 ans, mais au moins jusqu’à la fin de l’école enfantine, subsidiairement un accompagnement de l’enfant sous la forme de pédibus (y compris un accompagnement lors du bus scolaire).

La direction de l’école renonce à prendre des mesures supplémentaires. Sur recours, le Conseil scolaire confirme la décision de la direction de l’école.

Sur la base des requêtes énoncées devant les instances précédentes, les parents interjettent un recours auprès du Département de l’éducation, de la culture et de la protection de l’environnement. A la suite d’une inspection locale, le département rejette le recours. Le Tribunal administratif du canton des Grisons rejette également le recours des parents.

Les parents interjettent alors un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral qui doit déterminer si le trajet de l’école est conforme au droit à un enseignement de base suffisant et gratuit (art. 19 Cst.) et au droit cantonal sur l’école publique (SchulG/GR).

Droit

Dans un premier temps, le Tribunal fédéral relève qu’il doit déterminer son pouvoir de cognition dans le jugement de la présente affaire. En l’occurrence, la question se pose de savoir si le recours soulève une question d’application du droit fédéral ou du droit cantonal.

Le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 19 Cst. garantit le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit. Sur cette base, un chemin d’école excessivement long ou dangereux n’est pas globalement acceptable pour les élèves et fonde le droit à une aide. Les enfants qui fréquentent l’école enfantine ne sont porteurs de ce droit que dans la mesure où l’école enfantine est obligatoire.

Le Tribunal fédéral constate que l’art. 89 Cst./GR reprend le droit fondamental de l’art. 19 et l’obligation de l’art. 62 Cst. et qu’il est lui-même mis en œuvre dans la loi cantonale des Grisons sur l’école publique (SchulG/GR). Selon l’art. 6 al. 1 SchulG/GR, l’école publique se compose de l’école enfantine, de l’école primaire et du degré secondaire I. La fréquentation de l’école enfantine d’une durée de deux ans est en principe facultative mais l’autorité compétente peut déclarer la fréquentation de l’école enfantine obligatoire pour les enfants de langue étrangère (art. 7 al. 3 et art. 10 al. 2 SchulG/GR).

En l’espèce, l’enfant fréquente l’école enfantine de son plein gré. Les recourants ne peuvent dès lors invoquer l’art. 19 Cst. En d’autres termes, le caractère raisonnablement exigible du chemin de l’école ne peut pas être analysé sous l’angle de l’art. 19 Cst.

Toutefois, le Tribunal fédéral relève que le législateur cantonal oblige la commune, en tant que responsable de l’école, à proposer une école enfantine d’une durée de deux ans dans le cadre de l’école obligatoire (art. 3 art. 4 al. 1 et art. 6 al. 1 SchulG/GR). Cette obligation va au-delà de l’art. 19 Cst. Dans ces circonstances, la commune doit veiller à ce que le chemin menant à l’école enfantine soit acceptable.

Partant, le Tribunal fédéral conclut que le recours porte sur l’application du droit cantonal. Son pouvoir de cognition est dès lors restreint à l’arbitraire.

Dans un second temps, le Tribunal fédéral relève qu’il convient d’examiner si l’instance précédente pouvait conclure sans arbitraire que le chemin de l’école était raisonnablement exigible pour la fille des recourants. Il ajoute qu’il convient de procéder à un examen global de l’acceptabilité du chemin.

Les recourants font valoir que le trajet n’est pas raisonnablement exigible en raison de trois problèmes. Premièrement, sur la base de la documentation spécialisée « chemin de l’école » du Bureau de prévention des accidents (ci-après : BPA), il n’est pas raisonnablement exigible qu’un enfant de 4 à 6 ans prenne le car postal sans être accompagné. Deuxièmement, un enfant de cet âge ne peut pas marcher seul le long d’une route principale sans véritable trottoir dans l’obscurité. Troisièmement, traverser un pont à une seule voie qui n’a pas de surface de marche séparée constitue un véritable danger puisqu’en cas d’affluence de trafic, ils sont poussés contre la balustrade du pont à une distance de sécurité insuffisante.

S’agissant du trajet en car postal, le Tribunal fédéral constate que les recourant se réfèrent à la documentation spécialisée « chemin de l’école » du BPA. Celle-ci prévoit que des mesures d’accompagnement sont nécessaires lors de l’utilisation des transports publics pour les enfants d’école enfantine (de 4 à 6 ans). Toutefois, il ne s’agit pas d’une directive mais d’une recommandation qui n’a pas de caractère contraignant. Elle peut néanmoins fournir des indices sur l’évaluation de l’exigibilité d’un trajet scolaire. Le Tribunal fédéral constate que l’instance précédente ne s’écarte pas de manière insoutenable de la recommandation. En effet, les transports publics sont organisés de manière claire, les enfants ne doivent pas changer de bus et les chauffeurs ont été spécialement instruits pour le transport d’enfant de 4 à 6 ans. Partant, l’instance précédente n’a pas violé l’interdiction de l’arbitraire sur ce point.

Concernant le trajet entre l’arrêt de bus et l’école enfantine, le Tribunal fédéral relève que l’instance précédente n’a pas versé dans l’arbitraire en considérant que l’absence d’un véritable trottoir ne constituait pas un danger. La route est suffisamment large pour que les enfants ne soient pas obligés de marcher sur la route. L’instance cantonale a également relevé que la vitesse est limitée à 50km/h et que les enfants ont été instruits au sujet du chemin. En outre, les enfants seront accompagnés par un adulte du 1er décembre au 30 mars lorsque les tas de neige résultant du déneigement pourraient potentiellement réduire l’espace disponible.

Au sujet du pont à une seule voie sans surface de marche séparée, l’instance précédente a relevé que le volume du trafic était faible et que la situation du trafic à cet endroit était claire. En outre, elle a constaté que des mesures d’accompagnement du 1er décembre au 31 mars, lorsque l’espace disponible serait restreint en raison des chutes de neiges, avaient été prises. Sur ce point, le Tribunal fédéral estime que l’instance précédente n’a dès lors pas violé l’interdiction de l’arbitraire.

En conclusion, le Tribunal fédéral constate que, sous l’angle de l’arbitraire, des mesures ont globalement été prises pour pallier les différents problèmes. Le chemin menant à l’école enfantine est raisonnablement exigible. Partant, il rejette le recours.

 

Proposition de citation : Margaux Collaud, Exigibilité d’un chemin d’école enfantine pour un enfant de 4 à 6 ans, in : https://www.lawinside.ch/1388/