L’approbation d’une découverte fortuite issue de la surveillance étrangère d’une plateforme de communication
Les résultats d’une surveillance mise en œuvre à l’étranger dans une procédure pénale suisse pour des infractions faisant l’objet de cette procédure pénale ne constituent pas une « découverte fortuite » et ne nécessitent pas une autorisation du tribunal des mesures de contrainte.
Faits
Le Ministère public du Canton d’Argovie (Ministère public) mène une enquête pénale contre un prévenu soupçonné d’infraction qualifiée à la LStup et de blanchiment d’argent. Le Ministère public demande aux Etats-Unis, au titre de l’entraide judiciaire, la transmission de moyens de preuve, à savoir le contenu des messages vers et depuis un appareil cryptographique ANOM. Cette dernière est une application de messagerie pour smartphones développée par plusieurs gouvernements prétendument sécurisée, dont le but était en réalité d’intercepter les messages envoyés via cette application et de pouvoir infiltrer les milieux criminels. Il s’agissait ainsi d’une opération d’infiltration, similaire à un « Cheval de Troie ».
Le U.S. Department of Justice transmet les fichiers souhaités.
Peu après, le Ministère public requiert, en application de l’art. 278 al. 3 CPP, du Tribunal des mesures de contrainte du Canton d’Argovie (TMC) qu’il « approuve une découverte fortuite » résultant de la surveillance de la plateforme de communication ANOM réalisée dans le cadre de l’entraide judiciaire.
Le TMC admet la requête et autorise le Ministère public à utiliser les résultats de la surveillance étrangère de la plateforme de communication ANOM dans la procédure pénale menée par les autorités suisses contre le prévenu pour infraction qualifiée à la LStup.
Le prévenu recourt devant le Tribunal cantonal du Canton d’Argovie, concluant notamment à ce que l’exploitation de la « découverte fortuite » ne soit pas autorisée. Le Tribunal cantonal constate que la décision est nulle et classe pour le surplus la procédure, faute d’objet. Il estime en effet que le TMC n’est pas compétent pour approuver l’utilisation d’une découverte fortuite.
Contre cette décision, tant le Ministère public que l’individu interjettent un recours devant le Tribunal fédéral.
Le Ministère public conclut notamment que l’utilisation de la « découverte fortuite » soit autorisée. Il considère en effet que le Tribunal des mesures de contrainte doit autoriser, en vertu de l’art. 274 en relation avec l’art. 278 CPP, l’utilisation d’une “découverte fortuite” issue d’une surveillance des communications effectuée aux Etats-Unis dans le cadre de l’entraide judiciaire. Selon le Ministère public, faute d’une telle autorisation, les autorités de poursuite pénale risquent de voir les enregistrements transmis dans le cadre de l’entraide judiciaire détruits ou être considérés comme inexploitables.
Le prévenu requiert quant à lui que l’utilisation de la découverte fortuite soit interdite. Il estime que les utilisations d’ANOM ont été surveillées de manière systématique et, ainsi, sans aucun soupçon concret, de sorte qu’il s’agirait d’une « recherche de preuves illicite ».
Le Tribunal fédéral doit alors déterminer si l’on est en présence d’une « découverte fortuite » dont l’utilisation doit être approuvée par le TMC.
Droit
Le Tribunal fédéral constate que l’autorité intimée a, à juste titre, considéré que les faits en question ne tombent pas sous le coup des art. 269 ss en relation avec les art. 278 et art. 274 CPP. En effet, ces dispositions se rapportent à des surveillances de télécommunications ordonnées et exécutées en Suisse par des autorités de poursuite pénale suisses dans le cadre d’une procédure pénale suisse. Or, dans le cas présent, il ne s’agit pas de surveillances qui ont été ordonnées et exécutées en Suisse dans le cadre d’une procédure pénale suisse.
Le Tribunal fédéral approuve également le raisonnement de l’instance précédente lorsque celle-ci affirme qu’il n’est ni nécessaire de recourir à une application par analogie de l’art. 278 CPP en relation avec l’art. 274 CPP, ni qu’une lacune ne devrait être comblée. En effet, de lege lata, toute contestation relative à l’exploitation des moyens preuves doit se fonder sur l’art. 141 CPP. Sur la base de cette disposition, le juge du fond peut, d’office ou sur demande des parties, déclarer comme non exploitables les moyens de preuve recueillis par voie d’entraide judiciaire qui se trouvent dans le dossier d’instruction et les mettre sous scellés séparément si nécessaire. Dans cette mesure, une protection juridique appropriée des parties est garantie, sans que le TMC ne doive anticiper durant la procédure préliminaire l’exploitation des preuves ayant des conséquences procédurales importantes et devancer ainsi le tribunal de fond.
Par ailleurs, le Tribunal fédéral note que la demande d’entraide judiciaire du Ministère public ne repose pas sur une « recherche de preuves » inadmissible. La demande d’entraide judiciaire s’appuyait au contraire sur des motifs de soupçon concrets et décrits en détail, selon lesquels le prévenu aurait participé à un trafic de drogue en Suisse.
Le Tribunal fédéral se penche ensuite sur la notion de « découvertes fortuites » et constate que celles-ci concernent les moyens de preuve obtenus relatifs à d’autres infractions (art. 278 al. 1 CPP) ou à d’autres auteurs (art. 278 al. 2 CPP) (ATF 144 IV 254 c. 1.3 ; 141 IV 459 c. 3.1). Ce n’est que dans les cas visés aux al. 1 et 2 précités que le Ministère public doit engager une procédure d’approbation auprès du Tribunal des mesures de contrainte (art. 278 al. 3 cum 274 CPP).
In casu, la surveillance a permis d’obtenir des informations aux Etats-Unis sur le prévenu. Par la suite, des enregistrements de communications effectuées avec son appareil de cryptographie ont été transmis à la Suisse au titre de l’entraide judiciaire. Le Ministère public avait déjà ouvert une enquête pénale contre le prévenu pour soupçon d’infractions qualifiées à la LStup et blanchiment d’argent, avant de déposer sa demande d’entraide judiciaire aux Etats-Unis. De même, les nouveaux éléments tirés des enregistrements recueillis dans le cadre de l’entraide judiciaire ont pour but d’être utilisés contre le prévenu pour les infractions déjà examinées jusqu’ici. Ainsi, en tout état de cause, les résultats litigieux ne constituent pas réellement une « découverte fortuite » au sens des art. 274 et 278 CPP.
Par ailleurs, contrairement à l’avis du prévenu, il n’existe pas de cas exceptionnel dans lequel l’inexploitabilité des enregistrements recueillis par le biais de l’entraide judiciaire serait « établie d’emblée » et devrait être imposée au préalable par une décision du TMC à titre de question préalable dans la procédure d’enquête. Au contraire, il ne faut pas préjuger de la décision finale du Tribunal de fond sur l’exploitabilité des moyens de preuve (art. 141 CPP).
Au vu de ce qui précède, le TMC a admis à tort l’existence d’une « découverte fortuite » au sens de l’art. 278 CPP et a admis à tort sa compétence pour prendre une décision d’approbation à ce sujet.
Le Tribunal fédéral constate enfin que la question de savoir si la décision du TMC doit effectivement être déclarée nulle ou si l’instance précédente aurait dû au contraire l’annuler formellement peut rester ouverte. En effet, son annulation n’a entraîné aucun désavantage procédural ni pour le prévenu ni pour le Ministère public.
Le Tribunal fédéral rejette ainsi les deux recours.
Note
Sous l’angle de la recevabilité, le Tribunal fédéral souligne que la décision attaquée constitue une décision incidente. Au demeurant, peut rester ouverte la question de savoir s’il existe un risque de préjudice juridique irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) et si les autres conditions d’un jugement au fond sont remplies, puisque le recours doit de toute façon être rejeté.
Pour un résumé et un commentaire de cet arrêt, cf. Ryan Gauderon, Les résultats d’une surveillance secrète mise en œuvre à l’étranger et transmis au procureur suisse ne constituent pas des « découvertes fortuites » soumises à autorisation du Tribunal des mesures de contrainte, in : https://www.crimen.ch/251/ du 28 février 2024.
Proposition de citation : Florence Perroud, L’approbation d’une découverte fortuite issue de la surveillance étrangère d’une plateforme de communication, in : https://www.lawinside.ch/1432/