La nature de la décision de renvoi à agir devant le juge civil selon l’art. 126 al. 3 CPP

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ATF 142 III 653 | TF, 30.08.2016, 4A_179/2016*

Faits

Alors qu’il conduit son scooter, un conducteur heurte un enfant âgé de 5 ans et le blesse gravement. Souffrant d’un problème d’hyperactivité, l’enfant est descendu soudainement du trottoir pendant qu’il marchait à côté de sa sœur âgée de 9 ans.

Le Tribunal de police du canton de Genève reconnait le conducteur coupable de lésions corporelles graves par négligence et, sur action civile de la mère et de la sœur de l’enfant, il le retient seul responsable de l’accident tout en renvoyant les parties plaignantes à agir sur le plan civil pour le surplus. En appel, le conducteur demande que sa responsabilité soit réduite à 70 %. Débouté, il saisit le Tribunal fédéral d’un recours en matière civile. À la forme, il se pose en particulier la question de savoir si le jugement par lequel le tribunal reconnait le principe de la responsabilité et renvoie la partie plaignante à agir devant les juges civiles constitue ou non une décision incidente. Au fond, il s’agit de déterminer le degré de responsabilité du conducteur.

Droit

Les décisions qui ne sont ni finales ni partielles sont des décisions incidentes ; il s’agit en particulier des prononcés par lesquels l’autorité règle préalablement et séparément une question juridique qui sera déterminante pour l’issue de la cause. Lorsque l’arrêt d’une autorité de recours termine l’instance introduite devant elle, mais que le recours à l’origine de ce prononcé était dirigé contre une décision incidente, l’arrêt revêt lui aussi le caractère d’une décision incidente selon l’art. 93 al. 1 LTF. Ainsi, dans ce cas, la recevabilité du recours au Tribunal fédéral dépend de la qualification de la décision de première instance.

En principe, lorsqu’il rend un verdict de culpabilité à l’encontre du prévenu, le juge de la cause pénale doit statuer sur les prétentions civiles (art. 126 al. 1 let. a CPP). Lorsque le jugement complet des prétentions civiles exigerait un travail disproportionné, l’art. 126 al. 3 CPP autorise le juge pénal à juger ces prétentions seulement “dans leur principe” et, pour le surplus, renvoyer la partie plaignante à agir par la voie civile.

En matière de responsabilité civile, l’arrêt par lequel une autorité judiciaire supérieure admet le principe de la responsabilité et renvoie la cause à l’autorité inférieure pour élucider les autres questions de fait et de droit est une décision incidente. Ainsi, à première vue, la décision attaquée en l’espèce est une décision incidente qui n’est susceptible d’un recours séparé qu’aux conditions restrictives de l’art. 93 al. 1 LTF.

Néanmoins, le Tribunal fédéral parvient à la conclusion inverse. Il observe qu’il n’existe aucune unité ni subordination entre le procès pénal et les prétentions civiles, alors que, en règle générale, une décision incidente intervient dans la procédure qui aboutira à la décision finale ou dans une procédure étroitement liée à celle-ci. Dans ce contexte juridique spécifique et en accord avec une partie de la doctrine, le Tribunal fédéral retient ainsi que le jugement rendu par le juge pénal sur le principe de la responsabilité civile est une décision finale selon l’art. 90 LTF, susceptible d’un recours séparé. Dès lors, étant formé contre une décision finale, le recours est recevable en l’espèce.

Sur le fond, le conducteur reproche à la cour cantonale de ne pas avoir pris en compte la faute de la mère de l’enfant, cette dernière ayant négligé d’accompagner son fils hyperactif à l’école le jour de l’accident. Selon l’art. 60 al. 1 et 2 LCR, toutes les personnes responsables d’un accident consécutif à l’emploi d’un véhicule sont tenues solidairement envers le tiers lésé (al. 1) ; entre ces personnes, la charge de la réparation se répartit en considération de toutes les circonstances (al. 2).

Le parent qui a la garde de l’enfant doit veiller à la sécurité physique de ce dernier (cf. art. 302 CC) ; il assume une position de garant envers lui et la violation de ses devoirs engage sa responsabilité délictuelle selon l’art. 41 CO. En l’espèce, le Tribunal fédéral retient qu’il incombait à la mère de l’enfant de l’accompagner à l’école ou de le confier à une autre personne capable d’assurer sa sécurité. La soeur de l’enfant (9 ans) était certes en mesure de se rendre seule à l’école, mais elle ne disposait pas des moyens intellectuels et physiques pour surveiller un autre enfant dans la même situation. Ainsi, compte tenu du risque inhérent à l’emploi d’un scooter, de la faute du conducteur et de la faute de la mère de l’enfant, le Tribunal fédéral impute au conducteur la responsabilité de l’accident à hauteur de 70 % et à la mère de l’enfant à hauteur de 30 %. Partant, le recourant obtient gain de cause sur ce point.

Proposition de citation : Simone Schürch, La nature de la décision de renvoi à agir devant le juge civil selon l’art. 126 al. 3 CPP, in : https://www.lawinside.ch/318/