Un fait = un allégué et preuves à l’appui, est-ce une exigence ?

Télécharger en PDF

ATF 144 III 54 | TF, 11.12.2017, 5A_213/2017*

L’art. 221 al. 1 CPC ne précise pas strictement et de manière générale quelle forme particulière doivent revêtir les allégations de fait et les offres de preuve (un fait = un allégué, numérotation des allégués, etc.). Les exigences de forme d’une demande dépendent au contraire des circonstances, de l’ampleur et de la complexité du cas d’espèce.

Faits

Dans le cadre d’une procédure de divorce sur demande unilatérale, une partie dépose un mémoire-demande qui ne contient ni faits circonstanciés ni moyens de preuve s’y rapportant (absence de structure un fait = un allégué). Le juge de district compétent invite la partie à modifier son mémoire dans les 10 jours (art. 132 CPC), à défaut de quoi il l’aurait déclaré irrecevable. Malgré le dépôt d’une écriture complémentaire, le juge n’entre pas en matière sur la demande. Ce jugement est confirmé en appel.

La partie concernée agit devant le Tribunal fédéral qui est appelé à préciser quelles sont les exigences de forme auxquelles doit satisfaire une demande en justice.

Droit

La procédure de divorce contentieuse s’ouvre par le dépôt de la demande unilatérale (274 CPC), qui n’est pas nécessairement motivée, mais doit néanmoins satisfaire aux exigences minimales de l’art. 290 al. 1 CPC, à savoir notamment que le demandeur doit conclure formellement au divorce tout en énonçant le motif (art. 114 ou 115 CC) dont il se prévaut (let. b) et prendre des conclusions relatives aux effets patrimoniaux du divorce (let. c), ainsi qu’aux enfants (let. d).

A teneur de l’art. 221 al. 1 CPC, la demande contient notamment les allégations de fait (let. d) et l’indication, pour chaque allégation, des moyens de preuve proposés (let. e).

Sous l’angle de l’interprétation littérale, le Tribunal fédéral relève que la loi ne précise pas si chaque allégation doit comprendre un certain nombre de phrases au maximum, si chaque fait doit être présenté séparément, ou encore si les allégations doivent être numérotées. Elle ne dit pas non plus si les offres de preuve doivent être placées directement à la suite de chaque fait allégué, ou s’il suffit que l’on puisse clairement comprendre quelle preuve se rapporte à quel fait.

De même, l’interprétation historique ne permet pas de déterminer la portée exacte de la disposition en question.

Quant à son but, il s’agit, d’une part, de permettre au juge de déterminer sur quels faits le demandeur fonde ses prétentions et par quels moyens de preuve il entend démontrer ces faits et, d’autre part, de faire en sorte que le défendeur puisse se déterminer sur les faits allégués (art. 222 CPC, al. 2 notamment).

Dans son analyse de la doctrine, le Tribunal fédéral constate que les auteurs romands affirment généralement que chaque fait doit être présenté séparément, avec à sa suite la preuve proposée, et que la question essentielle est la praticabilité de l’acte, à savoir que celui-ci est recevable si la présentation des faits et des preuves permet au juge d’instruire la cause et si l’adversaire peut prendre position sur la demande. Les auteurs alémaniques et tessinois sont en revanche muets sur la question précise de la forme des allégués et retiennent en substance que les faits doivent être suffisamment détaillés pour qu’il soit possible d’en apporter la preuve.

Sur la base de ces éléments, le Tribunal fédéral retient que le droit fédéral ne précise pas strictement et de manière générale quelle forme particulière devraient revêtir les allégations de fait et les offres de preuve. En particulier, le CPC ne prévoit pas un nombre maximal de mots ou de phrases par allégation, pas plus qu’il ne précise que chaque allégué ne devrait contenir qu’un seul fait, ni que les faits devraient impérativement être rangés en phrases numérotées.

Toutefois, il résulte du but de la loi que le degré de concision des allégations de fait dépend des circonstances et de la complexité du cas d’espèce. Aussi, bien que la numérotation des allégués ne puisse pas être exigée d’emblée, elle peut s’avérer nécessaire selon les circonstances, l’ampleur et la complexité du cas d’espèce, afin de permettre au défendeur de se déterminer clairement.

Si le demandeur ne satisfait pas à ces exigences, le juge doit lui donner l’occasion d’y remédier (art. 56 et 132 al. 2 CPC) et seulement par la suite prononcer le cas échéant une décision d’irrecevabilité.

En l’espèce, la cour cantonale a constaté que la demande ne comprenait que 5 allégués, dont la plupart étaient composés de plusieurs phrases voire plusieurs paragraphes. Certaines allégations n’étaient pas structurées de manière qu’elles étaient immédiatement suivies d’offres de preuve. Cependant, l’analyse du contenu des allégations et des moyens de preuves offerts à leur appui conduit le Tribunal fédéral à considérer qu’en l’espèce la demande en divorce est d’une complexité relative et, par conséquent, les allégués sont suffisamment structurés, circonstanciés et concis pour que le juge puisse comprendre les faits pertinents et la partie adverse se déterminer sur leur contenu. En tant qu’elle n’a pas tenu compte du contenu des allégués dans l’analyse de la recevabilité de la demande, la cour cantonale a violé le droit fédéral.

Ces considérations amènent le Tribunal fédéral à admettre le recours et renvoyer la cause à l’instance cantonale pour qu’elle examine la demande en divorce.

Note

Le Tribunal fédéral interprète les exigences de forme auxquelles une demande doit satisfaire à la lumière de leur but, à savoir la praticabilité de l’acte. Cette approche requiert une analyse au cas par cas, en fonction de la complexité des faits de la cause. Ainsi, le CPC ne requiert pas la présentation des faits sous la forme un fait = un allégué, ni leur numérotation, mais, en fonction des circonstances, cela peut s’avérer nécessaire.

Toute autre est la question de savoir si les faits présentées remplissent les exigences imposées par le droit matériel afin de pouvoir donner suite aux prétentions formulées. Dans ce cadre, d’éventuelles lacunes ne conduisent pas à l’irrecevabilité de la demande, mais à son rejet sur le fond avec force de chose jugée.

Proposition de citation : Simone Schürch, Un fait = un allégué et preuves à l’appui, est-ce une exigence  ?, in : https://www.lawinside.ch/552/

1 réponse

Les commentaires sont fermés.