L’obligation du mandataire de recourir contre une décision défavorable à son client

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ATF 145 II 201 | TF, 20.06.19, 2C_737/2018*

Un mandataire, comme une fiduciaire, qui reçoit une décision défavorable à son client doit recourir lorsqu’elle n’obtient pas d’instruction de son mandant durant le délai de recours. À défaut, le client empêché d’agir pour des raisons médicales ne peut pas se prévaloir d’une restitution de délai et doit se laisser imputer le comportement de son mandataire.

Faits

L’administration fiscale du canton de Genève taxe un couple représenté par une fiduciaire. Cette dernière dépose une réclamation au nom des époux qui est rejetée le 20 mai 2016. Au moment de la notification de la décision sur réclamation, l’époux souffrait d’une atteinte psychique qui l’empêchait de gérer ses affaires, en particulier le litige fiscal. En revanche, son épouse ne souffrait d’aucune cause d’empêchement. Aucun recours contre la décision sur réclamation n’est déposé dans le délai de recours. En août 2016, lorsque l’époux a recouvré sa capacité d’agir, il dépose une demande de restitution de délai qui est rejetée par le Tribunal administratif de première instance, puis par la Cour de justice. Il recourt alors devant le Tribunal fédéral qui doit se pencher sur les conditions de la restitution de délai lorsque le contribuable est représenté par une fiduciaire.

Droit

Il est admis que les époux n’ont pas déposé de recours contre la décision sur réclamation dans les délais. Il convient donc d’examiner si l’époux pouvait bénéficier d’une restitution de délai qui est un principe général du droit, consacré expressément par l’art. 133 al. 3 et l’art. 140 al. 4 LIFD en matière fiscale. Selon la jurisprudence, la restitution du délai de recours ne peut être accordée que si le contribuable et son éventuel représentant ont été empêchés d’agir dans le délai, sans faute de leur part.

La Cour de justice a retenu que l’époux était effectivement empêché d’agir. Elle a cependant estimé que son épouse qui représente le couple en matière fiscale aurait pu et dû interjeter recours. Le Tribunal fédéral laisse cette question ouverte et raisonne avec un autre argument.

Un contribuable qui se fait représenter doit se laisser imputer le comportement procédural de son représentant. En matière fiscale, on admet un pouvoir de représentation notamment lorsque le contribuable indique un représentant dans sa déclaration d’impôts, comme c’est le cas en l’espèce.

Le contrat de fiduciaire relève du mandat qui comprend le pouvoir de faire tous les actes juridiques nécessaires à la bonne exécution du contrat. Selon la doctrine relative au droit de l’avocat, le mandataire ne doit pas attendre de disposer d’une autorisation expresse pour exécuter une démarche juridique nécessaire à l’accomplissement de l’affaire confiée. Le mandataire doit informer sans délai son mandant des décisions qui lui sont notifiées et lui faire part des solutions envisageables. Si la décision est défavorable au mandant, le mandataire doit également s’assurer de la volonté de son client de ne pas recourir. S’il y a péril en la demeure, par exemple pour interrompre une prescription ou requérir des mesures provisoires, le mandataire doit en principe entreprendre les démarches nécessaires, même s’il n’a pas pu obtenir préalablement l’aval de son mandant (TF, 29.05.18, 4A_558/2017 consid. 5.3.2).

En l’espèce, la fiduciaire représentait déjà les époux lorsque la cause d’empêchement a débuté. Dès lors, elle lui appartenait de sauvegarder les droits de ses mandants en déposant un recours contre la décision sur réclamation dans le délai légal. Le Tribunal fédéral rappelle en outre qu’il n’existe pas de monopole des avocats en procédure administrative genevoise. Le fait que la fiduciaire n’était probablement pas en mesure d’obtenir des instructions de l’époux sur l’opportunité de recourir n’y changeait rien. En effet, le Tribunal fédéral considère que, dans de pareilles circonstances, le mandataire doit déposer un recours afin de sauvegarder le délai.

Partant, l’époux doit se laisser imputer l’inaction de sa fiduciaire qui n’a pas prouvé qu’elle était elle-même empêchée d’agir sans sa faute.

Partant, la demande de restitution de délai doit être rejetée.

Note

On relève premièrement que le Tribunal fédéral n’a pas voulu examiner s’il appartenait à l’épouse de recourir en raison de l’empêchement de procéder de son mari. Il a préféré examiner si la fiduciaire aurait dû le faire et a pris sa décision lors d’une séance publique à 4 voix contre 1. Cette problématique n’avait toutefois pas été abordée par le tribunal de première instance et la Cour de justice.

Il semble donc que le Tribunal fédéral ait voulu clarifier le devoir de diligence de la fiduciaire. Même si l’arrêt ne dit rien sur le comportement de celle-ci lors de la réception de la décision litigieuse (étant donné que les instances précédentes n’ont pas traité cette question), la solution à laquelle aboutit le Tribunal fédéral paraît sévère. En effet, le raisonnement du Tribunal fédéral signifie qu’en cas de silence de son mandant, le mandataire doit recourir contre une décision défavorable à son client. À défaut, il viole son devoir de diligence. Certes, le Tribunal fédéral n’érige pas ce devoir en règle absolue et réserve par l’expression « en principe » des exceptions qu’il ne développe néanmoins pas.

Cet arrêt ne concerne pas que les devoirs découlant de la notification d’une décision fiscale :  le Tribunal fédéral s’est basé sur les principes généraux du droit du mandat et plus particulièrement sur le droit de l’avocat. Dès lors, ce jugement revêt une importance considérable pour tous les avocats, peu importe le domaine d’activité. L’avocat doit donc s’assurer de la volonté de son client de ne pas recourir contre une décision qui lui est défavorable. En cas d’absence de réponse, l’avocat doit alors recourir au nom de son client, apparemment indépendamment des chances de succès. Au regard de cette jurisprudence, l’avocat ne devrait pas pouvoir se satisfaire d’un courrier qui indique que, sauf indication contraire de la part de son mandant, il considère que ce dernier renonce à recourir. En effet, avec un tel courrier, l’avocat ne s’assure pas de la volonté de son client, qui n’a peut-être pas reçu le courrier ou qui ne l’a pas lu.

Enfin, il paraît utile de rappeler que l’avocat doit aussi s’assurer que son client a payé l’avance de frais à temps (sur cette problématique : ATF 110 IB 94 ; TF, 16.11.09, 1D _7/2009 consid. 4).

Proposition de citation : Julien Francey, L’obligation du mandataire de recourir contre une décision défavorable à son client, in : https://www.lawinside.ch/820/

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