L’acte exécuté sans droit pour un Etat étranger (271 CP) et l’erreur sur l’illicéité (21 CP)

TF, 04.12.2018, 6B_804/2018

Si une personne a le sentiment que son comportement envisagé est contraire à la loi, elle ne peut être mise au bénéfice de l’erreur sur l’illicéité (art. 21 CP). Lorsque l’auteur vérifie au préalable la licéité de son comportement auprès d’un avocat, il ne peut s’appuyer sur son avis que si l’avocat dispose des faits de l’affaire dont il est saisi et que s’il a examiné tous les aspects juridiques.

Faits

Dans le cadre du conflit fiscal entre la Suisse et les États-Unis, une société de gestion de fortune constate qu’un certain nombre de ses clients ne sont pas déclarés auprès du fisc américain. Le président du conseil d’administration de la société s’annonce auprès du Department of Justice américain, lequel veut les noms des clients, mais refuse de déposer une demande d’assistance administrative ou judiciaire.

Avant de remettre les noms des clients au DoJ, le président du conseil administration de la société vérifie la légalité de sa démarche auprès d’une étude d’avocats. Ayant encore quelques doutes sur la légalité, il demande également un avis de droit à un professeur et à une juriste. L’avis de droit affirme que la transmission de données peut être justifiée “dans tous les cas” par l’état de nécessité licite (art.Lire la suite

La double incrimination en matière d’escroquerie fiscale

TPF, 30.10.2018, RR.2018.210

En matière d’entraide pénale internationale au sujet d’une escroquerie fiscale, il revient à l’État suisse requis d’analyser selon le principe de la double incrimination si les faits de la demande d’entraide sont réprimés en Suisse comme une escroquerie fiscale au sens de l’art. 14 al. 2 DPAIl revient toutefois à l’État requérant d’exposer des soupçons suffisamment précis pour constater qu’une escroquerie fiscale a été commise. 

Faits

Les autorités françaises dirigent en France une enquête pour soustraction frauduleuse à l’impôt et blanchiment aggravé à l’encontre du gérant d’une société. Elles soupçonnent que le gérant utilise un circuit atypique de ventes de vins entre des sociétés françaises ainsi qu’une autre société située dans la Principauté d’Andorre. La société andorrane serait une pure adresse de domiciliation dont le but serait de dissimuler des revenus perçus en France.

Les autorités françaises sollicitent des autorités suisses l’entraide judiciaire internationale en matière pénale afin d’obtenir les relevés des comptes bancaires suisses dont le gérant est le titulaire.

L’Office fédéral de la justice délègue l’exécution de la demande au Ministère public du canton du Valais (MP), canton dans lequel est situé l’institut bancaire concerné. Au vu du caractère fiscal de la demande, le MP demande un avis sur la question à l’Administration fédérale des contributions (AFC).… Lire la suite

Le principe de la territorialité (art. 3 CP) et l’instigation (art. 24 CP)

ATF 144 IV 265 | TF, 23.07.2018, 6B_1120/2016*

Lorsqu’une instigation a lieu en Suisse, mais que tous les éléments constitutifs de l’infraction sont réalisés à l’étranger, l’instigation ne relève pas de la compétence territoriale de la Suisse (confirmation de jurisprudence).

Faits

Un prévenu désire vendre son véhicule mais ne trouve pas d’acheteur avec une offre lui paraissant suffisante. Il en parle alors à un ami et lui propose d’aller incendier la voiture afin de toucher une indemnisation de la part de l’assurance. Son ami se rend alors dans la banlieue lyonnaise et met ce plan à exécution.

Le Tribunal correctionnel de l’arrondissement de La Broye condamne le prévenu pour diverses infractions mais l’acquitte de l’accusation d’instigation à incendie intentionnel. Le Tribunal cantonal confirme cet acquittement.

Le Ministère public central du canton de Vaud forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral, lequel est amené à préciser l’application du principe de la territorialité lorsqu’une instigation est commise en Suisse.

Droit

L’art. 3 al. 1 CP ancre le principe de territorialité dans la loi : le Code pénal est applicable à quiconque commet un crime ou un délit en Suisse. L’art. 8 al. 1 CP précise qu’un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l’auteur a agi ou aurait dû agir qu’au lieu où le résultat s’est produit.… Lire la suite

Rétrocessions : la violation du devoir de rendre compte en tant qu’acte de gestion déloyale

ATF 144 IV 294 TF, 14.08.2018, 6B_689/2016*

Le gérant de fortune a un devoir accru et qualifié de rendre compte (art. 400 al. 1 CO), propre à fonder une position de garant envers son mandant. De ce fait, s’il viole son obligation de rendre compte au client au sujet des rétrocessions il peut, selon les circonstances, se rendre coupable de gestion déloyale (art. 158 CP).

Faits

Suite à la crise des marchés financiers de 2007, un gérant de fortune dissimule les pertes subies par certains des patrimoines qu’il a sous gestion en adressant à ses clients des relevés de compte falsifiés. De plus, il liquide partiellement les avoirs investis de certains clients afin d’en rembourser d’autres.

La banque dépositaire prélève des commissions sur les avoirs des clients et les rétrocède partiellement au gérant. Celui-ci n’informe pas les clients de ces rétrocessions et rétributions, et il ne leur reverse pas non plus les sommes relatives.

Pour ces faits (et d’autres faits non résumés ici), le gérant est reconnu coupable d’abus de confiance,  gestion déloyale, faux dans les titres, blanchiment d’argent avec circonstance aggravante et usage de faux fiscal.

En appel, le gérant demande à être acquitté des préventions de gestion déloyale et de blanchiment d’argent.… Lire la suite

La transmission directe d’informations concernant des clients au Gouvernement américain (271 CP)

TPF, 09.05.2018, SK.2017.64

Lorsqu’une personne, qui a procédé sur le territoire suisse pour un État étranger à des actes qui relèvent des pouvoirs publics (271 CP), croyait en la légalité de ses actes, vu une legal opinion et un avis de droit allant dans ce sens, les éléments subjectifs de l’art. 271 ne sont pas remplis. Son comportement n’est ainsi pas pénalement répréhensible.

Faits

Dans le cadre du conflit fiscal entre la Suisse et les États-Unis, une société de gestion de fortune constate qu’un certain nombre de ses clients ne sont pas déclarés auprès du fisc américain. La société engage une étude d’avocat afin de faire établir un dossier sur une clé USB contenant les clients « US-Tax subjects ». Elle s’annonce ensuite auprès du Department of Justice américain, lequel veut les noms des clients.

La société demande à son étude d’avocats une legal opinion, dont la conclusion est la suivante : « For the above outlined reasons, we are of the opinion that a disclosure within the terms of the Scenario is rather unlikely to infringe art. 271 SPC (Swiss Penal Code). Disclosing the Client Data probably does not expose those acting on behalf of [the company] to the risk of being held criminally culpable (…) for having violated art.Lire la suite