L’intervention accessoire indépendante

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ATF 142 III 629TF, 01.09.2016, 4A_160/2016*

Faits

Un actionnaire ouvre action en justice en vue de remédier à une carence dans l’organisation de la société. Dans le contexte de la procédure de première instance, un autre actionnaire intervient de façon accessoire. En première instance, les parties principales acceptent une solution transactionnelle selon laquelle l’ensemble des actions de la société est attribué à l’actionnaire le plus offrant dans le cadre d’une vente aux enchères privée. Le jugement de première instance entérine cette transaction et impose à tous les actionnaires de participer à la vente aux enchères privée. L’actionnaire intervenant accessoire forme recours. La seconde instance cantonale déclare son recours irrecevable faute de qualité pour agir.

Saisi de la cause, le Tribunal fédéral est appelé à déterminer si un intervenant accessoire a qualité pour recourir contre les déterminations de la partie principale lorsque le jugement concerné déploie des effets directement à son encontre.

Droit

L’intervention accessoire est prévue aux art. 74 ss CPC. L’intervenant accessoire peut notamment interjeter recours (art. 76 al. 1 CPC), ses actes n’étant toutefois pas considérés lorsqu’ils contredisent les déterminations de la partie principale (art. 76 al. 2 CPC). Le recourant fait néanmoins valoir que la règle de l’art. 76 al. 2 CPC ne vaut pas lorsque le jugement concerné déploie des effets directement à l’encontre de l’intervenant accessoire.

L’intervention accessoire n’a pas en tant que telle pour effet de rendre le jugement directement opposable ou exécutoire à l’encontre de l’intervenant. En effet, l’intervenant pourra se voir opposer l’issue de la procédure dans laquelle il est intervenu qu’en cas de procès subséquent et sous réserve des exceptions légales (art. 77 CPC).

Ceci étant, un jugement peut déployer des effets à l’encontre de tiers en vertu du droit matériel. S’agissant de l’action visant à remédier à une carence dans l’organisation d’une société anonyme, l’art. 731b CO prévoit que le juge prend les mesures nécessaires, l’ultima ratio étant la dissolution de la société. De telles mesures peuvent avoir un effet sur les droits de tiers, en particulier sur les droits d’actionnaires qui ne sont pas parties au procès. Ainsi, en l’espèce, la décision de première instance impose à tous les actionnaires (y compris le recourant) de participer à la vente aux enchères privée de leurs actions.

Pour de telles situations, certaines procédures civiles cantonales prévoyaient la possibilité d’une intervention accessoire indépendante, laquelle permettait à l’intervenant d’accomplir tous actes de procédure, y compris ceux qui contredisent les déterminations de la partie principale. Cette institution existe également dans la Loi fédérale de procédure civile fédérale actuellement en vigueur (art. 15 al. 3 PCF). Elle n’est en revanche pas prévue expressément dans le CPC. La question n’a pas été discutée lors de l’élaboration du CPC. Il sied toutefois de relever que sous l’empire des anciennes procédures civiles cantonales, la majorité de la doctrine considérait que l’intervention accessoire indépendante découlait en réalité du droit matériel (lequel a pour effet qu’un jugement peut dans certaines circonstances déployer des effets directs à l’encontre de tiers), de telle sorte qu’il n’était pas indispensable de la prévoir expressément dans les lois de procédure. Il apparaît ainsi que l’absence de mention expresse de l’intervention accessoire principale dans le CPC n’implique pas pour autant la suppression de cette institution.

En outre, lorsqu’en vertu du droit matériel le jugement déploie des effets directs à l’encontre de l’intervenant accessoire, le droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst, art. 6 CEDH) de ce dernier n’est pas suffisamment garanti par la position dépendante prévue à l’art. 76 al. 2 CPC. Dans de tels cas, il convient dès lors de retenir que l’intervenant accessoire peut former recours même en contradiction des déterminations de la partie principale. Son intervention prend ainsi le caractère d’une intervention accessoire indépendante.

Selon le droit matériel, le jugement relatif à la carence dans l’organisation de la société (art. 731b CO) déploie des effets directs à l’encontre de tous les actionnaires. A teneur de jurisprudence, le tribunal compétent n’est certes pas tenu d’accorder d’office la qualité de partie à l’ensemble des actionnaires (cf. TF, 05.08.2010, 4A_321/2008). Ceci étant, lorsqu’un actionnaire se constitue partie à la procédure, il convient de lui reconnaître la qualité d’intervenant accessoire indépendant en raison des effets que déploiera le jugement à son encontre. Partant, l’actionnaire concerné a qualité pour recourir contre le jugement relatif à la carence dans l’organisation de la société indépendamment des déterminations de la partie principale.

Au regard de ce qui précède, l’instance précédente aurait dû en l’espèce reconnaître à l’actionnaire la qualité pour recourir. Le Tribunal fédéral admet dès lors le recours et renvoie l’affaire à l’instance précédente pour nouvelle décision.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, L’intervention accessoire indépendante, in : www.lawinside.ch/322/

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