La qualité de partie dans la procédure d’entraide judiciaire internationale en matière civile
Dans une procédure judiciaire d’entraide en matière civile, le titulaire du compte bancaire n’est pas partie à la procédure d’exécution suisse et ne peut donc pas être entendu par le juge de l’exécution suisse. Il doit toutefois être entendu par le juge étranger saisi du procès au fond.
Faits
Une juridiction étrangère dépose en Suisse une requête d’entraide judiciaire tendant à ce que les juridictions genevoises invitent une banque à fournir divers documents relatifs à un compte bancaire. La juridiction étrangère ignore en effet le nom du titulaire du compte bancaire.
Le Tribunal de première instance de Genève invite alors la banque à déposer ses observations sur la requête d’entraide. La banque invoque le secret bancaire et conclut qu’elle n’a pas à se soumettre à la requête d’entraide.
Avisé par la banque, le titulaire du compte sollicite à deux reprises l’accès au dossier de la part du Tribunal de première instance. Le Tribunal ne répond toutefois pas aux demandes du titulaire du compte.
Le titulaire du compte dépose un recours auprès de la Cour de justice pour retard injustifié et conclut à ce que la qualité de partie à la procédure d’entraide judiciaire internationale en matière civile lui soit reconnue.
La Cour de justice déboute le recourant et considère que le titulaire du compte n’a pas la qualité de partie à la procédure judiciaire d’entraide en matière civile.
Le titulaire du compte exerce un recours au Tribunal fédéral, lequel doit clarifier la qualité de partie du titulaire du compte bancaire dans une procédure judiciaire d’entraide en matière civile.
Droit
Dans l’ATF 142 III 116 (résumé in : LawInside.ch/155), le Tribunal fédéral s’était prononcé sur la question du droit d’être entendu du titulaire du compte dans une procédure d’entraide judiciaire en matière civile.
Le Tribunal fédéral avait notamment considéré que “le client de la banque, titulaire du compte, qui est un tiers touché par la mesure d’entraide, doit avoir eu l’occasion de s’exprimer dans le procès au fond à l’étranger, puisqu’il ne peut pas l’être au stade de l’exécution devant le tribunal de première instance, à défaut de quoi la requête d’entraide doit être refusée” (ATF 142 III 116 consid. 3.2). Dans cet arrêt, la juridiction étrangère connaissait le titulaire du compte mais ne l’avait pas entendu. Le Tribunal fédéral avait alors constaté une violation du droit d’être entendu et avait rejeté la demande d’entraide internationale.
Le Tribunal fédéral précise ici sa jurisprudence et considère que le titulaire du compte bancaire n’est pas partie à la procédure d’exécution suisse et ne peut donc pas être entendu par le juge de l’exécution suisse. Il doit toutefois être entendu préalablement par le juge étranger saisi du procès au fond.
Contrairement au titulaire du compte, la banque est partie à cette procédure et doit être entendue, mais elle ne peut faire valoir que ses droits propres et non les droits propres des parties au procès au fond à l’étranger.
En l’espèce, la juridiction étrangère ignore le nom du titulaire du compte bancaire. Ce dernier doit donc faire valoir ses droits directement devant le juge étranger. Dans le cadre de la procédure d’exécution suisse, il n’a toutefois pas la qualité de partie.
Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours.
Note – Une brève comparaison entre l’ATF 142 III 116 et l’arrêt résumé ci-dessus
Dans l’ATF 142 III 116 (résumé in : LawInside.ch/155), le Tribunal fédéral avait également précisé que “toute personne qui est touchée par la demande d’entraide judiciaire internationale en matière civile est en droit d’interjeter recours, notamment pour faire valoir le respect des dispositions pertinentes de la CLaH 70, à tout le moins lorsque celles-ci tendent à protéger ses intérêts légitimes” (ATF 142 III 116 consid. 3.4.4). Le Tribunal fédéral avait donc conclu que “le client de la banque, tiers titulaire (formel) du compte, qui n’est pas visé par la commission rogatoire et qui n’est pas partie au procès au fond à l’étranger, doit pouvoir recourir pour faire valoir ses droits, notamment que son droit d’être entendu a été violé” (ATF 142 III 116 consid. 3.4.4). De plus, “l’ayant droit économique d’un compte doit également se voir reconnaître la qualité pour recourir, si ses intérêts sont touchés, ce qui est le cas lorsque la mesure d’entraide vise à la production d’une attestation indiquant son identité” (ATF 142 III 116 consid. 3.4.4).
Dans l’arrêt résumé ci-dessus, le Tribunal fédéral ne se réfère toutefois pas à ces considérants et s’en tient au principe selon lequel le titulaire du compte bancaire n’est pas partie à la procédure d’exécution suisse et ne peut donc pas être entendu par le juge de l’exécution suisse.
L’ATF 142 III 116 paraît difficilement conciliable avec l’arrêt résumé ci-dessus. En effet, dans son précédent arrêt, le Tribunal fédéral a considéré que “le titulaire formel du compte A. avait la qualité pour recourir en instance cantonale dans la mesure où la demande d’entraide porte atteinte à ses droits” (ATF 142 III 116 consid. 3.5.2). Dans l’arrêt résumé ici, le Tribunal fédéral arrive toutefois à une solution diamétralement opposée qui ne semble pas cohérente avec les considérants de l’ATF 142 III 116 repris ci-dessus.
Deux éléments permettent éventuellement d’expliquer la distinction entre ces deux arrêts.
Dans l’ATF 142 III 116, la juridiction étrangère connaissait le titulaire du compte, mais ne l’avait pas entendu, contrairement à l’arrêt qui fait l’objet du présent résumé dans lequel la juridiction étrangère ne connaissait pas le nom du titulaire du compte. Le Tribunal fédéral semble d’ailleurs souligner cette distinction.
On ne voit toutefois pas en quoi, d’un point de vue juridique, cette distinction factuelle aurait une quelconque pertinence dès lors que “le client de la banque, tiers titulaire (formel) du compte, qui n’est pas visé par la commission rogatoire et qui n’est pas partie au procès au fond à l’étranger, doit pouvoir recourir pour faire valoir ses droits“(ATF 142 III 116 consid. 3.4.4).
L’autre élément de réponse porterait sur le stade de la procédure cantonale. Dans l’ATF 142 III 116, le titulaire du compte avait recouru contre l’ordonnance d’exécution de la commission rogatoire, alors que dans l’arrêt résumé ci-dessus, le Tribunal de première instance ne s’était pas encore prononcé sur l’exécution de la requête.
Toutefois, on ne voit également pas en quoi la qualité de partie devrait être interprétée différemment selon que le tribunal ait déjà rendu sa décision d’exécution ou non.
Philipp Fischer souligne également que la distinction principale entre ces deux arrêts provient de la phrase procédurale dans laquelle chaque arrêt se situe (Philipp Fischer, Entraide internationale en matière civile : Qualité de partie de la personne visée par une requête d’entraide en matière civile , publié le : 27 Nov 2017 par le Centre de droit bancaire et financier, https://www.cdbf.ch/989/).
Proposition de citation : Célian Hirsch, La qualité de partie dans la procédure d’entraide judiciaire internationale en matière civile, in : www.lawinside.ch/527/
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