Entraide fiscale internationale : légalité de la pratique des status updates de l’AFC

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ATF 144 II 130TF, 03.11.2017, 2C_201/2016*

En matière d’entraide fiscale internationale, la Suisse peut fournir à l’Etat requérant des informations quant au statut d’une demande d’entraide pendante (validation de la pratique des status updates).

Faits

Les autorités espagnoles soupçonnent un de leurs ressortissants de détenir un compte bancaire non déclaré en Suisse. Elles adressent une demande d’assistance administrative en matière fiscale à la Suisse. L’Administration fédéral des contributions (“AFC”) décide d’accorder l’assistance administrative et de transmettre les informations requises. L’individu concerné interjette recours auprès du Tribunal administratif fédéral contre cette décision.

Conformément à sa pratique usuelle, l’AFC informe les autorités espagnoles qu’un recours a été déposé contre sa décision.

Dans le cadre de la procédure pendante devant le Tribunal administratif fédéral, le ressortissant espagnol requiert la constatation de l’illégalité de la communication de l’AFC aux autorités espagnoles quant au statut de leur requête et qu’interdiction soit faite à l’AFC de communiquer d’autres informations relatives à l’avancée de la procédure. Le Tribunal administratif fédéral fait droit à cette demande.

Sur recours de l’AFC, le Tribunal fédéral doit déterminer si, en matière d’entraide fiscale internationale, la Suisse a le droit d’informer l’Etat requérant quant au statut d’une demande d’entraide administrative pendante (pratique des status updates).

Droit

S’agissant du droit applicable, une Convention contre la double imposition (la “CDI CH-ES”) telle que modifiée par un protocole ultérieur (le “Protocole”) détermine les conditions matérielles à l’entraide internationale en matière fiscale entre la Suisse et l’Espagne. En Suisse, l’exécution de l’assistance administrative fondée sur les conventions contre les doubles impositions est régie par la LAAF.

En substance, l’instance précédente a retenu qu’en informant l’Espagne de l’existence d’un recours contre sa décision, l’AFC fait indirectement savoir qu’il existe potentiellement des informations à transmettre et que la personne concernée s’y oppose. Ceci ne serait pas compatible avec l’effet suspensif du recours contre la décision d’accorder l’entraide (art. 19 al. 3 LAAF).

En premier lieu, le Tribunal fédéral examine si, par le biais du status update, l’AFC communique une information matérielle à l’Etat requérant. Il relève que par nature, le degré d’instance devant lequel se trouve une cause constitue une information procédurale. Le fait que les autorités requérantes puissent indirectement en inférer l’existence de renseignements à communiquer et l’opposition de l’individu visé à une telle communication n’affecte pas la nature procédurale du status update. En effet, l’AFC ne communique par ce biais aucun renseignement pertinent pour la taxation du contribuable concerné.

Il s’agit ensuite de déterminer si la CDI CH-ES peut fonder la communication de telles informations de nature procédurale. Cette convention impose à l’Etat requis de fournir sans tarder les renseignements requis (art. 25bis par. 1 CDI CH-ES cum art. IV ch. 5 s. Protocole). Elle renvoie pour le surplus aux règles de procédure nationales de l’Etat requis.

Le Tribunal fédéral interprète ces dispositions afin d’en déterminer les implications pour la pratique des status updates. Dans un considérant très didactique, il rappelle les règles applicables à l’interprétation de traités internationaux et la portée du soft law dans ce contexte : en vertu de l’art. 31 de la Convention de Vienne (CV) sur le droit des traités, un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. Dans ce contexte, on tient notamment compte de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties (art. 31 al. 3 CV). A teneur de jurisprudence, ceci inclut notamment les textes non-contraignants élaborés par des organisations internationales, tels que des recommandations ou des commentaires, dans la mesure où ils reflètent les positions juridiques communes de leurs Etats membres, y compris le cas échéant de la Suisse. En matière d’entraide fiscale internationale, il s’agit notamment des travaux de l’OCDE et du Forum Mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales (le “Forum Mondial”), auxquels la Suisse participe activement.

Les dispositions pertinentes de la CDI CH-ES correspondent au modèle de convention OCDE. Le Commentaire du modèle OCDE rappelle l’obligation de célérité de l’Etat requis et préconise la communication des renseignements dans un délai de deux à six mois. Selon le Commentaire, l’Etat doit informer l’Etat cocontractant lors de la conclusion de la convention si son droit national impose de notifier la personne concernée de la requête d’entraide. On peut se demander si ces devoirs n’ont pas pour corollaire l’obligation pour l’Etat requis d’informer les autorités requérantes lorsqu’il n’est pas en mesure de communiquer les renseignements dans le délai imparti, notamment en raison d’une opposition de la personne notifiée.

Le Modèle d’accord sur l’échange de renseignement édicté en 2002 par le Forum Mondial (le “MAER”) a largement influencé la rédaction de la Convention modèle de l’OCDE. Il peut ainsi être pris en compte pour l’interprétation de la CDI CH-ES. Le MAER règle expressément la question. Il prévoit que l’Etat requis doit informer l’Etat requérant s’il n’est pas en mesure de communiquer les renseignements dans un délai de 90 jours, en en indiquant le motif.

Le Tribunal fédéral relève pour le surplus que la pratique des status updates constitue désormais un standard internationalement reconnu. La remise de status updates compte ainsi parmi les critères pour l’examen par les pairs mis en place par le Forum Mondial. La Suisse s’est engagée à respecter ces critères. L’examen par les pairs subi par la Suisse en 2016 relevait la mise en place de la pratique des status updates comme un développement positif.

Au regard de ce qui précède, la remise de status updates fait partie de la correcte et diligente application des obligations prévues par les conventions calquées sur le Modèle OCDE, notamment la CDI CH-ES.

Dans la mesure où la pratique des status updates implique uniquement la remise d’informations procédurales, elle ne viole au demeurant pas le droit interne suisse, en particulier l’effet suspensif du recours contre la décision d’accorder l’entraide en matière fiscale (art. 19 al. 3 LAAF). Cet effet suspensif se rapporte en effet aux renseignements matériels pertinents pour la taxation du contribuable concerné, qui font l’objet de la requête d’entraide.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.

Note

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral tranche une question juridique de principe (cf. art. 84a LTF). Le cas d’espèce a fait l’objet de débats en séance publique. Cet arrêt valide au demeurant une pratique de l’AFC. Il s’agit ainsi d’un arrêt de principe, pertinent pour de nombreuses causes analogues.

Par ailleurs, cet arrêt illustre la portée cruciale des travaux d’organisations intergouvernementales telles que l’OCDE ou le Forum Mondial en matière d’entraide fiscale internationale. Selon les termes du Tribunal fédéral, la prise en compte des textes de ces organisations dans l’interprétation des conventions internationales pertinentes permet de donner à celles-ci “une interprétation évolutive qui correspond aux standards les plus récents reconnus par les Etats membres” de ces organisations “dans le contexte, en développement constant, de l’échange de renseignements en matière fiscale”.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, Entraide fiscale internationale  : légalité de la pratique des status updates de l’AFC, in : www.lawinside.ch/586/