La recevabilité d’un recours contre le refus de retrancher une pièce du dossier pénal

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ATF 141 IV 289 | TF, 29.07.2015, 1B_56/2015*

Faits

Le Ministère public rend une ordonnance pénale contre un prévenu. Celui-ci s’y oppose et demande qu’un procès-verbal d’audition effectué sans la présence de son avocat soit retiré du dossier et conservé à part jusqu’à la clôture de la procédure, comme le prévoirait l’art. 141 al. 5 CPP. Le Ministère public refuse d’entrer en matière sur la demande du prévenu qui recourt au Tribunal cantonal puis au Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral est amené à se prononcer sur la question de savoir si un recours au Tribunal fédéral contre une décision refusant de retrancher un procès-verbal du dossier pénal est recevable.

Droit

En vertu de l’art. 131 al. 3 CPP, « les preuves administrées avant qu’un défenseur ait été désigné, alors même que la nécessité d’une défense aurait dû être reconnue, ne sont exploitables qu’à condition que le prévenu renonce à en répéter l’administration ».

La décision sur l’exploitation des preuves (art. 140 et 141 CPP) ne met pas fin à la procédure et constitue une décision incidente. Par conséquent, le recourant doit démontrer l’existence d’un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 lit. a LTF. A ce sujet, le seul fait qu’un moyen de preuve dont l’exploitabilité est contestée demeure au dossier ne constitue en principe pas un tel préjudice, dès lors qu’il est possible de renouveler le grief d’inexploitabilité jusqu’à la clôture définitive de la procédure.

Cette règle comporte toutefois des exceptions. Tel est notamment le cas lorsque la loi prévoit expressément la restitution immédiate ou la destruction immédiate des preuves inexploitables (cf. p. ex. les art. 248, 271 al. 3, 277 et 289 al. 6 CPP). Il en va de même quand, en vertu de la loi ou de circonstances spécifiques liées au cas d’espèce, le caractère inexploitable des moyens de preuve ne fait pas de doute. De telles circonstances ne peuvent être admises que dans la situation où l’intéressé fait valoir un intérêt juridiquement protégé particulièrement important à un constat immédiat du caractère inexploitable de la preuve.

En l’espèce, le demandeur exige le retrait d’un procès-verbal d’audition. Cependant, la violation de l’art. 131 al. 3 CPP n’engendre pas la restitution ou la destruction immédiate du procès-verbal, mais tout au plus la mise à l’écart de la pièce (art. 141 al. 5 CPP). De plus, le moyen de preuve n’est pas manifestement inexploitable car la police ne pouvait pas encore savoir, lors de l’interrogatoire litigieux, qu’il s’agissait d’un cas de défense obligatoire au sens de l’art. 130 CPP. Enfin, il n’existe pas de circonstances particulières qui justifient le retrait immédiat du procès-verbal : l’intérêt purement factuel du demandeur à écarter une preuve contre lui ne constitue pas un intérêt juridiquement protégé particulièrement important.

Au regard de ce qui précède, le requérant n’a pas prouvé l’existence d’un préjudice irréparable et sa demande doit être déclarée irrecevable.

Note

On relève que le Tribunal fédéral ne tranche pas la question de savoir si une preuve obtenue hors présence d’un avocat dans un cas de défense obligatoire (art. 131 al. 3 CPP) est une preuve absolument inexploitable (art. 141 al. 1 CPP) ou relativement inexploitable (art. 141 al. 2 CPP). Sur ce point, la version française (“ne sont exploitables”) de l’art. 131 al. 3 CPP penche vers l’inexploitabilité absolue, alors que la version allemande (“nur gültig, wenn”) se rattache plutôt à l’inexploitabilité relative.

Proposition de citation : Julien Francey, La recevabilité d’un recours contre le refus de retrancher une pièce du dossier pénal, in : www.lawinside.ch/71/