L’attribution exclusive de l’autorité parentale

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ATF 141 III 472 | TF, 27.08.2015, 5A_923/2014*

Faits

Peu après la naissance de leur fille, deux parents non mariés signent une convention dans laquelle ils s’accordent sur l’octroi de l’autorité parentale conjointe. Les parents se séparent par la suite et leur relation se dégrade fortement. La mère demande à l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA) de lui attribuer l’autorité parentale exclusive.

L’autorité fait droit à cette requête et retire l’autorité parentale du père. Sur recours de celui-ci, le Bezirksrat puis le Tribunal cantonal confirment la décision de l’APEA. Le père dépose alors un recours en matière civile devant le Tribunal fédéral qui doit déterminer les conditions de retrait de l’autorité parentale conjointe au regard des nouvelles règles entrées en vigueur le 1er juillet 2014.

Droit

Le nouveau droit prévoit que l’autorité parentale conjointe est désormais la règle et l’autorité parentale exclusive l’exception. Selon l’art. 298d al. 1 CC, l’attribution de l’autorité parentale peut être modifiée lorsque des faits nouveaux importants le commandent pour le bien de l’enfant.

En l’espèce, les deux parties ne remettent pas en cause l’existence de faits nouveaux et importants. Le père affirme toutefois que seules les raisons restrictives de l’art. 311 CC justifieraient le retrait de l’autorité parentale conjointe eu égard au bien de l’enfant. En vertu de l’art. 311 al. 1 CC, l’autorité parentale est retirée d’une part lorsque les parents ne sont pas en mesure de l’exercer correctement, en raison de l’inexpérience, de maladie, d’absence, de violence ou de motifs analogues (ch. 1), et, d’autre part, lorsqu’ils ne se sont pas souciés de leur enfant et qu’ils ont gravement manqué à leur devoir envers lui (ch. 2).

Le Tribunal fédéral relève que les travaux préparatoires de l’art. 298d al. 1 CC ne permettent pas de déterminer clairement les critères qui concrétisent le bien de l’enfant. La doctrine, quant à elle, soutient que des raisons autres que celles mentionnées à l’art. 311 CC peuvent justifier l’attribution de l’autorité parentale exclusive. Le Tribunal fédéral se rallie à cette opinion pour plusieurs raisons. Premièrement, les art. 307 ss CC traitent de la « protection de l’enfant » (Gefährdung) alors que c’est le « bien de l’enfant » (Kindeswohl) qui est au centre des art. 298 ss CC. Par conséquent, les raisons qui justifient le retrait de l’autorité parentale en application de ces différentes dispositions ne sont pas guidées par le même but : une fois, il s’agit de protéger l’enfant et l’autre fois, uniquement de veiller à son bien-être.  De surcroît, en cas d’application de l’art. 311 CC toute relation personnelle est généralement supprimée, alors que les règles de l’art. 298d CC n’affectent généralement pas le droit de visite. Enfin, en application de l’art. 311 CC, l’autorité parentale est en principe retirée aux deux parents, alors que l’art. 298d CC ne fait qu’attribuer l’autorité parentale à un seul parent. Le résultat pour l’enfant n’est donc pas le même. Par conséquent, le retrait de l’autorité parentale au sens de l’art. 311 CC est un cas exceptionnel qui n’est pas comparable à celui de l’art. 298d CC. Partant, les conditions pour attribuer l’autorité parentale à un seul parent sont moins sévères que celles de l’art. 311 CC.

Dès lors, outre les conditions de l’art. 311 CC, un conflit durable important ou une incapacité à communiquer persistante des parents peut engendrer une modification de l’attribution de l’autorité parentale pour autant que ces manquements aient des conséquences négatives sur le bien de l’enfant. En revanche, l’attribution exclusive n’est pas justifiée en cas de disputes ponctuelles ou de divergences d’opinion comme il en existe dans toutes les familles et qui peuvent notamment survenir en cas de séparation ou de divorce. En cas de conflit certes important mais limité à un thème déterminé – comme l’éducation religieuse, le domaine scolaire ou le lieu de résidence – le principe de subsidiarité impose d’examiner si une attribution judiciaire exclusive de certaines composantes de l’autorité parentale pourrait déjà apaiser la situation.

Dans le cas présent, le Tribunal fédéral applique les principes développés ci-dessus et arrive à la conclusion qu’il existe un désaccord permanent des parents au sujet de tous les sujets de la vie de l’enfant. Celui-ci est dans un conflit de loyauté, ne sachant pas quel parent écouter ou choisir. Il n’existe donc de moyen moins incisif pour garantir le bien de l’enfant. De plus, l’autorité parentale exclusive de la mère n’affecte pas le droit de visite du père sur sa fille.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral considère que c’est à bon droit que l’APEA a attribué l’autorité parentale exclusive à la mère. Le recours du père est ainsi rejeté.

Note

Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a examiné les conditions d’attribution de l’autorité parentale exclusive au sens de l’art. 298d CC, c’est-à-dire lorsqu’il existe des faits nouveaux et importants pour des parents non mariés. Cependant, le Tribunal fédéral généralise la portée de son arrêt et précise que les critères développés sont applicables à deux autres situations : (i) lorsque des parents mariés sont impliqués dans une procédure de divorce ou de mesures protectrices de l’union conjugale (art. 298 al. 1 CC) et (ii) lorsque l’APEA doit prendre une décision, car des parents non mariés refusent de déposer une déclaration commune visant à régler les effets de la filiation (art. 298b al. 2 CC).

Proposition de citation : Julien Francey, L’attribution exclusive de l’autorité parentale, in : www.lawinside.ch/82/

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