L’injure par voie de bulletins de versements

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TF, 17.12.2019, 6B_1232/2019

L’utilisation de neuf bulletins de versement comportant chacun une lettre du mot “Arschloch” constitue une injure et est donc punissable.

Faits

Un débiteur est condamné à payer la somme de CHF 1’957.50 à un créancier. Pour exécuter le paiement, le débiteur emploie neuf bulletins de versement en indiquant sur chacun une lettre du mot “Arschloch. Le débiteur est condamné pour injure par le Ministère public et, sur opposition, par les deux instances cantonales.

Il recourt alors au Tribunal fédéral qui doit préciser la portée de l’infraction d’injure (art. 177 CP).

Droit

Le Tribunal fédéral confirme d’emblée que le mot composé par les différentes lettres contenues dans les bulletins de versement représente un jugement de valeur qui doit être qualifié d’injure au sens de l’art. 177 al. 1 CP. Pour rappel, cette disposition réprime les actes de celui qui, de manière autre que ce qui est prévu aux art. 173 à 176 CP, par la parole, l’image, les gestes ou par des voies de fait, attaque quelqu’un dans son honneur. En l’espèce, l’injure a eu lieu par la parole.

Le Tribunal fédéral balaye l’argument du recourant selon lequel l’ordre des mots utilisés était aléatoire. D’une part, les neuf lettres ne forment que les mots “Scholarch” (directeur d’une école dans la Grèce antique) et “Arschloch” (trou du cul). Or, au vu des circonstances, il est hautement invraisemblable que le débiteur ait souhaité traiter le créancier de “Scholarch“. D’autre part, la numérotation des bulletins de versement montre que l’ordre des mots correspond bien à celui du mot “Arschloch“. Finalement, le Tribunal fédéral relève qu’il existait une chance sur 90’720 (ce qui correspond à 0.001 %) de composer ce mot par les neuf lettres employées. Pour cette raison également, il ne saurait être question de hasard.

Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours du débiteur et confirme la condamnation.

Note

Cet arrêt a le mérite de démontrer deux choses. D’un côté, il est un exemple du bon fonctionnement du système de poursuite pénale. De l’autre, il permet de constater l’absurdité de certaines procédures, de plus portées devant les instances supérieures. Le Tribunal fédéral semble partager cet avis lorsqu’il écrit, en conclusion de l’arrêt, “die Prozessführung ist trölerisch” (traduction libre “la conduite du procès est téméraire”). L’équilibre entre ces deux éléments contrastants n’est pas toujours aisé.

Proposition de citation : Simone Schürch, L’injure par voie de bulletins de versements, in : www.lawinside.ch/862/