Entrées par Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui

Treaty shopping et restructuration en matière d’arbitrage d’investissement

ATF 148 III 330TF, 20.05.2022, 4A_398/2021* 

Le moment de la restructuration est le critère déterminant pour juger d’un abus de droit en matière de treaty shopping. Un litige spécifique doit être prévisible lors de la restructuration pour que celle-ci constitue un abus de droit. La prévisibilité du litige doit être appréciée avec restriction.

Faits

Le 15 janvier 2011, l’ancien président de la République bolivarienne du Venezuela Hugo Chávez prononce un discours devant l’Assemblée nationale vénézuélienne. Il explique vouloir instaurer une loi sur les coûts, les bénéfices et le juste prix.

Une holding états-unienne détient une société vénézuélienne active dans le commerce de produits de nettoyage. Le 15 avril 2011 la holding crée une société de droit espagnol et lui transfère toutes les actions de la société vénézuélienne. La nouvelle société espagnole détient donc l’entier du capital actions de la société sise au Venezuela.

Une partie de la réglementation évoquée par Hugo Chávez dans son discours entre en vigueur en avril 2012. Selon la holding, cette réglementation a pour effet de fixer des prix inférieurs aux coûts de production de 73 % de ses marchandises.

En 2015, la société espagnole initie une procédure arbitrale contre le Venezuela afin d’obtenir des dommages-intérêts sur la base d’un traité bilatéral d’investissement (TBI) convenu entre l’Espagne et le Venezuela.… Lire la suite

Instructions contradictoires des cotitulaires d’un compte joint : premier arrivé, premier servi

ATF 148 III 115 | TF, 24.03.2022, 4A_630/2020 et 4A_632/2020*

La banque qui reçoit des instructions incompatibles de la part des cotitulaires d’un compte bancaire joint doit exécuter l’ordre du cotitulaire qui, le premier, a initié des poursuites à son encontre au sens de l’art. 150 al. 3 CO.

Faits

Un père et son fils sont cotitulaires de trois comptes joints – un compte courant, un compte fiduciaire et un compte en dollars américains (USD) – auprès d’un établissement bancaire. Chacun dispose d’un pouvoir de signature individuelle sur les comptes. Le 5 juin 2013, la valeur totale des avoirs détenus sur les comptes s’élève à EUR 22 mio., dont 17.5 mio. en dépôts fiduciaires auprès d’une banque étrangère. Le père instruit alors la banque de transférer EUR 18 mio. (soit environ 4/5 des avoirs) sur un compte qu’il détient avec son épouse auprès d’une autre banque, au besoin en mettant un terme aux dépôts fiduciaires et en vendant les titres et obligations. Les fonds disponibles sur les comptes n’étant pas suffisants, la banque n’exécute pas immédiatement l’ordre. Quelques heures plus tard, le fils instruit la banque de transférer l’ensemble des avoirs sur son compte personnel, dont il est le seul titulaire, auprès du même établissement.… Lire la suite

La demande reconventionnelle introduite au stade de la conciliation est dépendante de la demande principale

ATF 148 III 314 | TF, 25.03.22, 4A_437/2021*

La demande reconventionnelle introduite au stade de la procédure de conciliation est dépendante de la demande principale. Si celle-ci n’est pas intentée au fond, l’autorisation de procéder est caduque et il ne faut pas entrer en matière sur la demande reconventionnelle.

Faits

Un propriétaire conclut un contrat de location d’un hangar à bateaux avec un locataire, dans la région de Lucerne. En 2019, le locataire introduit une procédure de conciliation devant le tribunal des baux et loyers. Le propriétaire du hangar introduit pour sa part une demande reconventionnelle déjà au stade de la conciliation. La conciliation ayant échoué, le tribunal délivre une autorisation de procéder au locataire. Elle adresse une copie pour information (Orientierungskopie) au propriétaire. Le locataire ne dépose finalement pas l’action au fond.

En revanche, sur la base de l’autorisation de procéder délivrée au locataire, le propriétaire ouvre action en paiement. À la demande du locataire, l’objet du litige est limité à la question de savoir si le propriétaire peut déposer une demande reconventionnelle au fond sans que la demande principale ait été déposée. Tant le tribunal de district de Kriens que le tribunal cantonal de Lucerne entrent en matière sur la demande reconventionnelle, déboutant le locataire.… Lire la suite

L’interdiction de manifester face à la liberté de réunion : la condamnation de la Suisse par la CourEDH

CourEDH, 15.03.2022, Affaire Communauté Genevoise d’action syndicale (CGAS) c. Suisse,  requête no 21881/20

Malgré l’importance et le but des mesures sanitaires durant la pandémie de Covid-19 en 2020, une interdiction totale de manifester durant un laps de temps important, avec des menaces de sanctions pénales sévères en cas de non-respect, n’est pas proportionnée. Une telle ingérence contrevient à la liberté de réunion et d’association (art. 11 CEDH).

Faits

Le 13 mars 2020, le Conseil fédéral adapte l’ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (O.2 Covid-19). Celle-ci interdit les manifestations publiques ou privées de plus de 100 personnes, maintenant toutefois la possibilité d’une dérogation éventuellement accordée par l’autorité cantonale (art. 7 let. a O.2 Covid-19). Le 17 puis le 20 mars 2020, le Conseil fédéral durcit les mesures de l’ordonnance. Les manifestations publiques ou privées sont interdites, les rassemblements limités à maximum 5 personnes dans l’espace public et la possibilité d’obtenir une dérogation pour les manifestations ayant pour but l’exercice de droits politiques est exclue. Comme sanction, l’ordonnance prévoit jusqu’à 3 ans de peine privative de liberté. Ces interdictions restent en vigueur jusqu’au 30 mai 2020, date à laquelle des manifestations de maximum 30 personnes sont à nouveau autorisées.… Lire la suite

La nature des contrats conclus entre Swissgrid et les entreprises d’approvisionnement en électricité

ATF 148 III 172TF, 11.01.2022, 4A_275/2021, 4A_283/2021*

L’art. 5 al. 5 OApEl est inconstitutionnel. Les contrats de groupe-bilan et d’exploitation liant Swissgrid et les entreprises actives dans le domaine de l’électricité sont de droit public. Les tribunaux civils n’ont pas la compétence de traiter les litiges qui découlent de ces contrats.

Faits

Le 22 août 2018, en raison d’une situation critique, Swissgrid prend plusieurs mesures afin de garantir la sécurité du réseau électrique. Elle contraint une entreprise active dans l’exploitation hydraulique, avec laquelle elle est liée par un accord d’exploitation (Betriebsvereinbarung), à réduire la puissance de sa centrale. En conséquence, une seconde entreprise, active dans l’approvisionnement d’électricité (point d’injection d’électricité) et qui est liée à Swissgrid par un contrat de groupe-bilan (Bilanzgruppenvertrag  ; cf. art. 23 OApEl), connaît un déficit énergétique qu’elle n’arrive pas à équilibrer au sein de son groupe-bilan. Pour compenser l’énergie manquante, Swissgrid prélève sur le compte de groupe-bilan de l’entreprise d’approvisionnement environ 1,3 millions d’euros à titre de coûts d’énergie de remplacement, laquelle refacture ensuite le montant à l’entreprise hydraulique.

Les deux entreprises ouvrent une action civile auprès du tribunal de commerce du canton d’Argovie. Elles concluent à la correction du compte de groupe-bilan pour l’entreprise d’approvisionnement et le paiement de la somme de 1,3 millions d’euros à l’entreprise hydraulique.… Lire la suite