La prise en compte globale des contributions de prise en charge et d’entretien du conjoint en appel

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TF, 05.12.2022, 5A_60/2022*

En cas de réduction de la contribution de prise en charge de l’enfant, il n’est pas arbitraire d’augmenter dans la même mesure la contribution d’entretien due au conjoint même si celle-ci est non contestée dans l’appel interjeté par le parent débiteur.

Faits

En 2018, un couple se marie. Leur fille naît la même année. En octobre 2020, l’épouse saisit le Kantonsgericht de Zoug d’une demande de mesures protectrices de l’union conjugale. Elle demande en particulier que son époux lui verse, pour elle et sa fille, une contribution d’entretien mensuelle de près de CHF 10’000.

La juge unique accorde notamment une contribution d’entretien mensuelle de CHF 7’400 en faveur de la fille du couple. Sur appel du seul époux, l’Obergericht réduit le montant des contributions dues à l’enfant, mais prévoit en revanche une contribution d’entretien pour l’épouse, qui augmente au fur et à mesure que celle due à l’enfant diminue.

L’époux exerce un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral, qui doit déterminer s’il est arbitraire, en cas de réduction d’une contribution due à l’enfant, d’augmenter dans la même mesure la contribution d’entretien due au conjoint alors que celle-ci n’est pas contestée par le parent débiteur.

Droit

Les décisions en matière de mesures protectrices de l’union conjugale sont considérées comme portant sur des mesures provisionnelles au sens de l’art. 98 LTF. En conséquence, seule la violation de droits constitutionnels peut être invoquée et l’exigence accrue de motivation s’applique (art. 106 al. 2 LTF).

Il y a arbitraire dans l’application du droit lorsque la décision attaquée contrevient gravement à une norme de droit claire et incontestée, lorsque l’autorité retient une situation de fait en contradiction manifeste avec le dossier de la cause, lorsqu’elle rend une décision affectée d’une contradiction manifeste et insurmontable ou lorsque la décision heurte de manière manifeste le sentiment de justice et d’équité. Le Tribunal fédéral n’annule toutefois une décision que si non seulement la motivation, mais aussi le résultat sont insoutenables.

Le recourant fait valoir que la décision de l’Obergericht viole la maxime de disposition (art. 9 Cst en relation avec l’art. 58 CPC) et l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst). Le Tribunal fédéral reconnaît que la décision attaquée s’écarte en particulier du principe de l’interdiction de la reformatio in pejus, qui s’oppose à ce que l’instance de recours aille au-delà des conclusions du recourant et modifie le jugement de première instance en sa défaveur, à moins que la partie adverse n’ait elle-même exercé un appel (joint) (ATF 134 III 151, c. 3.2). L’interdiction de la reformatio in pejus est un principe juridique clair et incontesté, dont le non-respect viole l’interdiction de l’arbitraire.

Le recourant s’appuie en particulier sur l’ATF 129 III 417. Dans cette affaire, le Tribunal fédéral avait eu l’occasion d’affirmer que l’époux et l’enfant disposaient de droits à l’entretien indépendants, avec un destin juridique propre, et que l’interdépendance des rentes ne justifiait pas une dérogation à la maxime de disposition à laquelle demeure soumis le litige relatif à l’entretien du conjoint (ATF 129 III 417, c. 2.1.1).

Cependant, le Tribunal fédéral relève en particulier que cet arrêt a été rendu avant l’introduction de la contribution de prise en charge de l’enfant (art. 285 al. 2. CC). Il ne tient donc pas compte en particulier de la complexification du calcul de l’entretien qui résulte du fait que la contribution de prise en charge est certes conçue comme un droit de l’enfant, mais qu’il est économiquement attribué au parent qui s’en occupe (ATF 145 III 393, c. 2.7.3). Les autres jurisprudences fédérales citées par le recourant se distinguent aussi du cas concret sur plusieurs points.

Même si, comme le relève le recourant, la contribution de prise en charge et la contribution d’entretien pour l’époux·se poursuivent des objectifs différents et ne sont pas soumises aux mêmes conditions, le Tribunal fédéral souligne qu’il est incontesté que l’intimée n’est pas mieux lotie que dans la décision de première instance, lorsque le montant total est pris en compte (contribution de prise en charge et contribution pour l’intimée).

Récemment, le Tribunal fédéral a d’ailleurs admis une telle prise en compte globale en cas de réduction de la contribution d’entretien du conjoint en faveur de l’enfant (TF, 5A_112/2020, c. 2.3). Dès lors, il ne voit pas pourquoi une considération globale s’opposerait à une application non arbitraire de la maxime de disposition (art. 58 al. 1 CPC) dans la situation inverse. Partant, le Tribunal fédéral estime que l’instance précédente n’a pas versé dans l’arbitraire en prévoyant une contribution pour la conjointe alors qu’elle n’avait pas été contestée.

Il laisse cependant indécise la question de savoir si la même solution s’applique lorsque l’époux·se créancier·ère se trouve globalement dans une situation plus favorable qu’en première instance.

Notre Haute Cour admet le dernier grief du recourant, qui se plaignait du fait que l’Obergericht n’avait pas pris en compte certains éléments dans l’étape de la répartition de l’excédent. Reconnaissant une violation du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst), le Tribunal fédéral admet partiellement le recours et renvoie l’affaire à l’Obergericht.

Proposition de citation : Camille de Salis, La prise en compte globale des contributions de prise en charge et d’entretien du conjoint en appel, in : https://www.lawinside.ch/1274/