Protection des marques : l’intérêt digne de protection de l'”attaque centrale” prévue par le système de Madrid

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ATF 147 III 98TF, 05.08.2020, 4A_97/2020*

Même lorsqu’une partie n’a pas d’activité en Suisse, elle peut avoir un intérêt digne de protection à ouvrir une action constatatoire en nullité si l’admission de cette action a des effets à l’international comme le prévoient les mécanismes du système de Madrid. 

Faits

En novembre 2016, une entreprise dépose le signe « EF-G […] » devant l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (IPI), lequel l’enregistre. En décembre 2016, se basant sur cette marque suisse, l’entreprise obtient l’enregistrement international « EF-G […] » auprès de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) et désigne une dizaine de pays de protection.

En août 2017, une société tierce adresse un courrier à l’entreprise dans lequel elle signale avoir engagé des actions dans l’Union européenne, à Panama, au Brésil et en Suisse pour s’opposer à et/ou invalider les requêtes et enregistrements du signe « EF-G […] ».

Aucun accord amiable ne pouvant être trouvé entre les deux entreprises, la société tierce ouvre une action constatatoire en nullité (art. 52 LPM) contre l’entreprise devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois en concluant à ce qu’il soit ordonné à l’IPI de radier la marque du registre des marques. Considérant que la société tierce n’a aucun intérêt digne de protection à l’issue d’un procès en Suisse notamment motifs pris que « les effets de celui-ci à l’international seraient soit redondants, soit contradictoires avec des décisions étrangères », le Tribunal cantonal déclare l’action irrecevable. La société tierce recourt au Tribunal fédéral, lequel est amené à examiner la mesure dans laquelle la recourante dispose d’un intérêt digne de protection à l’action en nullité.

Droit

Que ce soit au sens de l’art. 59 al. 2 let. a CPC ou 52 LPM, le Tribunal fédéral commence par relever qu’un intérêt digne de protection existe lorsqu’une incertitude plane sur les relations juridiques des parties, qu’une constatation touchant l’existence et l’objet du rapport de droit pourrait l’éliminer et que la persistance de celle-ci entrave le demandeur dans sa liberté de décision au point d’en devenir insupportable. Il relève que le critère de l’intérêt digne de protection est soumis à des exigences moins strictes pour l’action en nullité que pour les autres actions constatatoires.

Le Tribunal fédéral décrit ensuite le mécanisme prévu par le système de Madrid :

  • L’enregistrement international s’appuie toujours sur une marque déposée ou enregistrée (la marque de base) sur le plan national (i.e. dans le pays d’origine). L’enregistrement international donne la possibilité au titulaire de désigner les pays dans lesquels il entend solliciter la protection de sa marque. Le lien de dépendance existant entre la marque de base et l’enregistrement international perdure durant cinq ans à partir de la date de l’inscription dans le registre du Bureau international de l’OMPI.
  • L’art. 6 al. 3 du Protocole de Madrid prévoit la possibilité d’entreprendre une “attaque centrale” (Zentralangriff ; central attack) : si, avant l’expiration du délai de cinq ans, une action visant à la radiation ou à l’invalidation de l’enregistrement issu de la demande de base (dans le pays d’origine) aboutit, la protection résultant de l’enregistrement international ne pourra plus être invoquée et celle conférée (ou demandée) dans tous les territoires étrangers désignés par le titulaire s’éteint également automatiquement.

En l’espèce, la demande de constatation de nullité introduite par la société tierce l’a été alors que l’enregistrement international était encore dépendant de l’enregistrement de base (suisse). Partant, si la marque suisse est déclarée nulle (dans la procédure engagée devant l’autorité précédente), la protection internationale ne pourra plus être invoquée et elle s’éteindra dans tous les territoires nationaux désignés par la défenderesse. Aussi, même à considérer que la société tierce ne soit pas en rapport de concurrence en Suisse avec l’entreprise, elle dispose de toute façon d’un intérêt réel (concret) à actionner en nullité la marque (de base) suisse de la défenderesse devant la Cour civile vaudoise : ce n’est qu’ainsi qu’elle peut bénéficier des effets de l’ “attaque centrale” prévue par le système de Madrid. L’admission de cette action aura un effet direct sur les litiges opposant les parties dans les pays désignés par l’enregistrement international de l’entreprise.

Le recours est donc admis.

Proposition de citation : Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, Protection des marques  : l’intérêt digne de protection de l'”attaque centrale” prévue par le système de Madrid, in : https://www.lawinside.ch/991/