La publicité des délibérations devant l’Autorité de plainte en matière de radio-télévision

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ATF 147 II 476 | TF, 05.10.21, 2C_327/2021*

Les délibérations de l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision sont en principe publiques (art. 97 al. 1 LRTV). Toutefois, cette Autorité peut prononcer un huis clos si, au terme d’une pesée des intérêts, les biens de police ou l’intérêt privé menacés priment l’intérêt à ce que l’audience soit publique. Les principes applicables à la restriction de la publicité sont les mêmes que ceux devant un tribunal. Dès lors que le principe de publicité poursuit un intérêt public, les parties n’ont pas de droit à obtenir, sur requête, le huis clos.

Faits

La Radio-télévision suisse (RTS) diffuse un reportage sur la radiation du barreau des avocats en Suisse romande et y mentionne, à titre illustratif, la récente condamnation d’un avocat. Dans ce dossier, l’autorité de surveillance doit actuellement décider si une radiation se justifie ou non. Le même jour, RTS Info publie un article approfondissant cette affaire. Y figure, entre autres, une interview du représentant de l’avocat et du procureur en charge de l’affaire.

L’avocat concerné estime que le reportage et l’article ne décrivent pas les faits de manière fidèle et portent atteinte à la présomption d’innocence ainsi qu’au devoir de lui donner la parole. Il dépose en conséquence une plainte auprès de l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP).

Le 3 novembre 2020, cette Autorité informe la Société suisse de radiodiffusion SRG SSR et le plaignant de la tenue de délibérations publiques le 28 janvier 2021. Celui-ci sollicite alors le huis clos. Le 25 janvier 2021, l’AIEP rejette cette requête. Toutefois, elle décide de préserver l’anonymat de l’avocat en ne citant pas son nom durant les délibérations. Par décision incidente du 28 janvier 2021, l’AIEP confirme cette décision, mais ne tient pas l’audience fixée.

L’avocat dépose un recours au Tribunal fédéral. Celui-ci doit se déterminer sur la portée du principe de la publicité des délibérations de l’AIEP ancré à l’art. 97 al. 1 LRTV.

Droit

Aux termes de l’art. 83 al. 1 let. a LRTV, l’AIEP est compétente pour, notamment, traiter des plaintes relatives au contenu des publications rédactionnelles. Ses délibérations sont en principe publiques, sauf si un intérêt privé digne de protection ne s’y oppose (art. 97 al. 1 LRTV).

À titre liminaire, le Tribunal fédéral constate que le principe de la publicité des délibérations, à savoir les débats oraux conduits par l’autorité de plainte lorsqu’elle statue sur une plainte, existe dans la LRTV depuis le 1er avril 2007, date de l’entrée en vigueur de sa dernière révision. Ce principe vise à permettre une plus grande transparence dans un domaine aussi sensible que celui de la diffusion de contenus rédactionnels à la radio et la télévision (cf. Message du CF du 18 décembre 2002 concernant la révision totale de la LRTV, FF 2003 1425 ss, p. 1585).

Aux yeux du Tribunal fédéral, il est possible de faire un parallèle entre le principe de publicité prévu à l’art. 97 al. 1 LRTV et celui de la publicité de la justice en général et, en particulier, avec la jurisprudence relative à l’art. 59 al. 1 et 2 LTF, qui prévoit la publicité des débats et des délibérations devant le Tribunal fédéral. Cette analogie se justifie notamment en raison du fait que l’autorité de plainte est assimilable à un tribunal indépendant. Partant, les standards en matière de publicité devant un tribunal indépendant et l’autorité de plainte doivent être identiques. Aussi, l’art. 59 al. 1 LTF, similairement à l’art. 97 al. 1 LRTV, est une des rares dispositions prévoyant la publicité des délibérations. Enfin, ces deux articles réservent la possibilité de prononcer un huis clos, respectivement à l’art. 97 al. 1 LRTV in fine et à l’art. 59 al. 2 LTF.

Le Tribunal fédéral rappelle ensuite que, conformément à la jurisprudence relative à la publicité des audiences judiciaires, la décision de prononcer un huis clos suppose une pesée des intérêts entre, d’une part, les biens de police ou l’intérêt privé menacés et, d’autre part, l’intérêt à ce que l’audience soit publique. La publicité n’existe pas uniquement dans l’intérêt des parties, mais aussi plus largement dans l’intérêt public : elle permet d’assurer la transparence de la justice afin que le public puisse vérifier la manière dont les procédures sont menées et la jurisprudence rendue. Tel est également l’intérêt public poursuivi par l’art. 97 al. 1 LRTV (cf. Message du CF du 18 décembre 2002 concernant la révision totale de la LRTV, FF 2003 1425 ss, p. 1585). Dès lors, les parties n’ont pas de droit à obtenir, sur demande, le huis clos. Au surplus, la possibilité de prononcer le huis clos doit être appréciée de manière restrictive : des motifs prépondérants doivent manifestement l’imposer.

Le huis clos vise la protection de la sphère privée et de la personnalité garantie par l’art. 13 al. 1 Cst. et l’art. 8 CEDH. Le droit au respect de la sphère privée n’étant néanmoins pas absolu, il peut faire l’objet de restrictions (art. 36 cum art. 13 Cst. ; art. 8 par. 2 CEDH).

En l’espèce, l’objet de la plainte à examiner par l’AIEP porte sur l’enregistrement du reportage, le contenu de l’article et les échanges d’écritures des parties pendant l’instruction devant elle. Le Tribunal fédéral note que le reportage et l’article mentionnent le verdict prononcé à l’encontre de l’avocat, tout en précisant que ce dernier a fait appel et que l’autorité de surveillance doit encore se prononcer sur sa radiation du barreau des avocats. Le nom de l’avocat ne figure ni dans l’article, ni dans le reportage. Aussi, le dossier ne contient pas d’actes de procédure pénale ou civile en cours, mis à part le jugement condamnant l’avocat, ni  d’informations non publiées sur la vie privée de l’intéressé. Par conséquent, lorsque l’AIEP délibérera, elle ne traitera pas de dossiers non publics. Par ailleurs, l’AIEP a décidé de préserver l’anonymat de l’avocat en ne citant pas son nom durant les délibérations.

Au vu de ces éléments, le Tribunal fédéral conclut qu’aucun motif ne justifie de prononcer un huis clos et de renoncer entièrement au principe de la publicité des délibérations. La décision de l’AIEP, qui prévoit de ne pas mentionner le nom de l’avocat, mais de délibérer publiquement sur sa plainte, établit un juste équilibre entre les intérêts privés de l’intéressé à maintenir son anonymat et l’intérêt public à la publicité des délibérations de l’autorité qui garantit la transparence de son activité.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Elena Turrini, La publicité des délibérations devant l’Autorité de plainte en matière de radio-télévision, in : www.lawinside.ch/1121/