La révocation d’un allégement fiscal

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ATF 147 II 454 | TF, 03.12.2021, 2C_141/2020, 2C_245/2021*

Lorsque la convention à la base d’un allégement fiscal assortit l’obligation de domiciliation dans le canton après la période d’exonération à des limites temporelles claires, celles-ci sont en principe seules déterminantes quant à la question de la révocation rétroactive de l’allégement fiscal. Ce n’est que si les conditions de l’accord fiscal sont imprécises que l’on peut se référer par analogie aux règles sur le rappel d’impôt (art. 53 LHID).

Faits

En 2004, le Département des finances du canton de Vaud accorde à une société sise à Morges (Monsanto) une exonération fiscale du bénéfice et du capital imposables pour une période de dix ans (2005-2014). L’exonération fiscale est subordonnée à différentes modalités, notamment au maintien du siège de la société dans le canton pendant dix ans à compter de la fin de l’exonération, soit jusqu’en 2024. Dans le contexte d’une réorganisation du groupe commercial entamée en 2018, la société cesse ses activités à Morges et transfère son siège à Bâle en 2020.

Dans l’intervalle, en 2019, le Conseil d’Etat du canton de Vaud révoque avec effet rétroactif l’exonération accordée pour les périodes fiscales 2005 à 2014 et décide de percevoir les impôts économisés d’un montant de CHF 34’000’000.

La société recourt au Tribunal cantonal vaudois. Celui-ci admet partiellement le recours en ce sens que la révocation ne s’applique que pour les périodes fiscales 2010 à 2014. Le Tribunal cantonal applique par analogie le délai de prescription décennal prévu en matière de rappel d’impôt (cf. art. 53 LHID) et estime que la procédure de rappel d’impôt a été ouverte par la révocation de la convention en 2019. Les périodes fiscales antérieures à 2010 sont donc prescrites.

L’Etat de Vaud et l’Administration cantonale des impôts forment un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit se prononcer sur la période déterminante pouvant être touchée par la révocation de l’allégement fiscal.

Droit

L’allégement fiscal temporaire (art. 23 al. 3 LHID et 91 LI-VD) passe par la conclusion d’un contrat de droit administratif. Ce contrat, autorisé par la loi, fixe l’existence, l’étendue et les modalités de l’obligation fiscale. L’autorité cantonale compétente jouit d’une marge d’appréciation étendue en ce qui concerne les modalités de révocation de l’allégement fiscal. Elle peut ainsi subordonner la validité de l’exonération à différentes conditions, comme celle du maintien du siège de la société dans son canton. En cas de non-respect d’une condition, l’autorité peut révoquer l’exonération accordée de manière rétroactive.

Dans un arrêt 2C_382/2016, le Tribunal fédéral a confirmé qu’un allégement fiscal d’une société ayant cessé ses activités sur le territoire d’un canton pouvait être révoqué, dans la mesure où le privilège était subordonné au maintien du siège de la société dans le canton. Le Tribunal fédéral a toutefois limité l’étendue de la révocation aux dix années avant le prononcé de la révocation en appliquant par analogie les règles sur le rappel d’impôt (art. 53 LHID). Dans ce cas, l’accord fiscal ne prévoyait pas de durée quant à la domiciliation de la société dans le canton, ni ne fixait de délai durant lequel la récupération des impôts pouvait être décidée.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la société n’a pas respecté la condition relative au maintien de son siège dans le canton pendant dix ans à compter de la fin de l’exonération. Le litige porte sur la période déterminante pouvant être touchée par la révocation de l’exonération fiscale dont la société a bénéficié durant dix ans, de 2005 à 2014.

Le Tribunal cantonal a estimé que la révocation de l’accord se justifiait. Fondé sur l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_382/2016, il a toutefois limité la révocation aux périodes fiscales 2010 à 2014 en application du délai de prescription décennal prévu en matière de rappel d’impôt (art. 53 LHID).

Le Tribunal fédéral ne partage pas l’appréciation du Tribunal cantonal. Il estime que la condition de l’accord fiscal du maintien du siège de la société dans le canton de Vaud pendant au moins dix ans après la fin de l’exonération doit être comprise à elle seule comme une clause de récupération (claw back) autorisant le canton à revenir sur l’avantage fiscal accordé. Les parties se sont mises d’accord que le non-respect de cette condition justifiait la révocation de l’entier de l’exonération fiscale de 2005 à 2014. Etant donné les termes clairs de la convention, il n’y pas lieu de se référer aux règles sur le rappel d’impôt (art. 53 LHID). Ces règles ne doivent être appliquées par analogie que si l’accord fiscal est imprécis, par exemple parce qu’il ne fixe aucune limite temporelle à l’obligation de domiciliation de la société dans le canton, comme c’était le cas dans l’arrêt 2C_382/2016.

Par conséquent, le Tribunal fédéral estime que le canton de Vaud est en droit de révoquer rétroactivement l’allégement fiscal dans son entier et de récupérer l’ensemble des impôts impayés durant les périodes fiscales 2005 à 2014.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.

Proposition de citation : Tobias Sievert, La révocation d’un allégement fiscal, in : www.lawinside.ch/1132/