La fixation de seuils pour déterminer la gravité de l’infraction d’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale (art. 148a CP)

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ATF 149 IV 273 | TF, 27.04.2023, 6B_1108/2021*

Le Tribunal fédéral précise sa jurisprudence concernant les cas de peu de gravité d’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale (art. 148a CP). En dessous de CHF 3’000, il convient de partir du principe qu’il s’agit d’un cas de peu de gravité, qui n’est donc pas susceptible d’entraîner une expulsion. Au-delà de CHF 36’000, un cas de peu de gravité est en principe exclu. Entre ces deux montants, l’examen de la gravité se fera au cas par cas.

Faits

Le Bezirksgericht de Zurich condamne un homme à une peine pécuniaire pour avoir indûment obtenu des prestations de l’aide sociale (art. 148a CP). Il prononce également une expulsion pour cinq ans. Sur appel, l’Obergericht réduit la durée de la peine pécuniaire, mais confirme le jugement de première instance en ce qui concerne la culpabilité et l’expulsion.

Le concerné exerce un recours auprès du Tribunal fédéral en demandant à être condamné pour un cas de peu de gravité au sens de l’art. 148a al. 2 CP, et ainsi à n’être sanctionné que par une amende. Le Tribunal fédéral est donc amené à préciser sa jurisprudence concernant la définition des cas de peu de gravité en cas d’obtention illicite d’une prestation d’une assurance sociale ou de l’aide sociale.

Droit

Selon l’art. 148a CP, quiconque, par des déclarations fausses ou incomplètes, en passant des faits sous silence ou de toute autre façon, induit une personne en erreur ou la conforte dans son erreur, et obtient de la sorte pour lui-même ou pour un tiers des prestations indues d’une assurance sociale ou de l’aide sociale, est puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire (art. 148a al. 1 CP). Dans les cas de peu de gravité, la peine est l’amende (art. 148a al. 2 CP), l’infraction constituant alors une contravention (art. 103 CP).

La loi ne définit pas ce qui constitue un cas de peu de gravité. Selon le Message du Conseil fédéral, repris par la jurisprudence, il convient de tenir compte de plusieurs éléments, susceptibles de réduire la culpabilité de l’analyse de la gravité de l’infraction : montant de la prestation perçue, faible intention criminelle, motifs et/ou objectifs compréhensibles notamment. S’agissant plus précisément du montant de la prestation perçue, le Tribunal fédéral n’a jusqu’à présent pas fixé de seuils concrets.

Après un tour d’horizon doctrinal, le Tribunal fédéral se rallie à l’opinion défendue par Matthias Jenal (BSK-Strafrecht, art. 148a CP, n. 21). Ce dernier plaide en particulier pour l’établissement de seuils de gravité échelonnés en fonction des montants perçus. Concrètement, en dessous d’un montant peu élevé, il faudrait admettre un cas de peu de gravité ; au-dessus d’un montant élevé, il ne faudrait plus admettre un cas de peu de gravité. Les infractions portant sur des montants intermédiaires devraient être examinées au cas par cas.

Le Tribunal fédéral, mû par un souci de sécurité juridique, est convaincu par cette approche qui revient à fixer certaines limites chiffrées pour l’application de l’art. 148a al. 2 CP, tout en gardant la possibilité de tenir compte d’autres circonstances. Il s’agit également de tracer une limite plus claire entre ce qui relève du délit (art. 148al. 1 CP) et ce qui relève de la contravention (art. 148a al. 2 CP), seule la première catégorie étant susceptible d’entraîner une expulsion (art. 66 al. 1 lit. e CP).

S’agissant du montant inférieur à retenir comme délimitant un cas de peu de gravité, le Tribunal fédéral retient qu’un seuil peut en principe être établi à CHF 3’000. Ce seuil est avancé par une partie de la doctrine et aligné avec les solutions casuistiques retenues jusqu’alors par le Tribunal fédéral. Par ailleurs, il ressort également de l’Enquête suisse sur la structure des salaires 2020 que le salaire médian (brut) pour un emploi à plein temps s’élève à CHF 6’665. Le montant de CHF 3’000, représentant plus de la moitié du salaire médian après déduction des cotisations sociales, semble approprié. Concernant le montant supérieur dont le dépassement exclut en principe un cas de peu de gravité, le Tribunal fédéral se base à nouveau sur le salaire médian perçu en Suisse en 2020. Il fixe le seuil supérieur à CHF 36’000, ce qui correspond à peu près à six mois de salaire d’une personne travaillant à plein temps.

Dans la zone intermédiaire, où les montants perçus varient entre CHF 3’000 et CHF 35’999, un examen plus approfondi est nécessaire. L’appréciation de l’existence d’un cas de peu de gravité doit se faire en fonction de la faute de l’auteur·ice, en tenant également compte des critères énoncés par le Conseil fédéral dans son Message et par la jurisprudence (durée de perception des montants, intention criminelle, motifs et/ou objectifs compréhensibles notamment).

En l’espèce, le recourant a perçu illicitement un montant de près de CHF 13’000. Le Tribunal fédéral relève cependant qu’il n’a pas adopté un comportement actif, mais s’est contenté d’omettre l’annonce aux services sociaux compétents du versement de sa prestation de libre passage. La durée de la perception des montants s’élève à sept mois, mais le recourant n’a dissimulé qu’une unique entrée de paiement et n’a pas commis d’autres actes destinés à cacher ce versement. Les services sociaux connaissaient l’existence de cet avoir, de sorte que le recourant devait s’attendre à ce que sa situation soit réévaluée. Par ailleurs, sur demande, le recourant a immédiatement fourni aux services sociaux les justificatifs relatifs au versement de sa prestation de libre passage. L’énergie criminelle déployée était donc relativement faible.

Partant, il convient donc de retenir un cas de faible gravité au sens de l’art. 148a al. 2 CP. L’expulsion est donc exclue. Le Tribunal fédéral admet le recours, annule l’arrêt attaqué et renvoie l’affaire à l’instance précédente pour nouvelle décision.

Proposition de citation : Camille de Salis, La fixation de seuils pour déterminer la gravité de l’infraction d’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale (art. 148a CP), in : www.lawinside.ch/1324/