L’acquisition d’un immeuble agricole par une personne morale (art. 9 LDFR)

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TF, 01.02.2024, 2C_317/2023*

Une personne morale peut acquérir un immeuble agricole lorsqu’elle est majoritairement détenue par une ou plusieurs personnes pouvant être reconnues comme exploitantes à titre individuel (cf. art. 9 LDFR).

Faits

Un arboriculteur détient 71,5 % du capital d’une société anonyme ayant pour but l’exploitation de domaine agricole et horticole notamment. Il en est l’unique administrateur. En 2021, le Secrétariat d’État à la formation reconnaît le diplôme qu’il a obtenu à l’étranger comme équivalent à un certificat de capacité.

Par acte de vente de novembre 2021, la société agricole achète à un ami de l’arboriculteur un bien-fonds d’environ 3,3 hectares, sis en zone agricole genevoise, en vue d’y exploiter l’arboriculture. La vente est soumise à la condition suspensive de l’obtention d’une autorisation d’acquérir de la Commission foncière agricole du canton de Genève. Le plan d’exploitation élaboré par l’arboriculteur indique que la culture prévue est susceptible d’atteindre un seuil de rentabilité au bout d’une dizaine d’années, mais que son investissement initial ne serait pas remboursé avant cinquante ans, en raison du prix d’achat élevé de la parcelle.

Par décision d’octobre 2022, la commission rejette la demande d’autorisation de la société agricole. La Cour de justice de Genève rejette le recours formé par celle-ci, au motif notamment que l’arboriculteur n’aurait pas démontré son expérience dans le domaine horticole. La société agricole recourt contre cet arrêt au Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur la qualité d’exploitante au sens de l’art. 9 LDFR d’une personne morale.

Droit

Conformément à l’art. 61 LDFR, quiconque souhaite acquérir un immeuble agricole doit obtenir une autorisation (al. 1). Celle-ci est refusée lorsque le requérant n’est pas exploitant à titre personnel (art. 63 al. 1 let. a LDFR). L’art. 9 LDFR distingue les notions d’exploitant à titre personnel (al. 1) et de capacité d’exploiter à titre personnel (al. 2). L’exploitant à titre personnel est celui qui cultive lui-même les terres agricoles (art. 9 al. 1 LDFR). De plus, l’exploitant est capable d’exploiter à titre personnel lorsqu’il a les aptitudes usuellement nécessaires à l’exercice de l’agriculture en Suisse, pour cultiver lui-même les terres agricoles.

Le Tribunal fédéral n’a pas encore tranché la question de savoir si une personne morale peut exploiter un immeuble agricole. Dans l’ATF 140 II 233, il a retenu qu’une personne morale peut exploiter une entreprise agricole (sur la notion cf. art. 7 al. 1 LDFR). Il a retenu en particulier qu’une personne morale remplit l’exigence d’exploitation personnelle, lorsqu’elle est majoritairement détenue par des personnes qui remplissent les conditions à titre individuel ou qu’au moins la majorité d’entre elles travaillent dans l’exploitation. De plus, le détenteur majoritaire doit pouvoir disposer de l’entreprise, de manière à pouvoir l’utiliser comme instrument de travail, comme s’il en était directement propriétaire. Ces considérations s’appliquent mutatis mutandis en matière d’exploitation d’immeubles agricoles. Par conséquent, il sied d’examiner si l’arboriculteur remplit les conditions posées par l’art. 9 LDFR.

Premièrement, la condition de l’exploitation personnelle de l’immeuble (art. 9 al. 1 in initio LDFR) est réalisée lorsque l’intéressé, qui n’exploite pas déjà l’immeuble, rend vraisemblable qu’il l’exploitera personnellement. Cette vraisemblance peut être apportée en exposant quelques attaches avec l’agriculture.

En l’espèce, l’arboriculteur est diplômé en sciences agronomiques avec une spécialisation en arborisation fruitière et élevage de bétail. Un de ses anciens collègues a également déclaré avoir travaillé avec lui sur une exploitation arboricole sur un terrain de 27 hectares à l’étranger. De plus, n’exerçant pas d’autre activité professionnelle, il aura le temps d’exploiter le bien-fonds. L’arboriculteur a ainsi fait état de suffisamment d’attaches avec l’agriculture, de manière à rendre vraisemblable qu’il exploitera personnellement la parcelle convoitée.

Secondement, la capacité d’exploiter à titre personnel (art. 9 al. 2 LDFR) suppose que l’intéressé possède au moins la moyenne des qualités physiques, professionnelles et morales nécessaires à l’exploitation de terres agricoles. Cette capacité suppose une formation agricole appropriée à l’exploitation de l’immeuble visé. Une formation agricole complète n’est pas systématiquement exigée, l’exploitation antérieure d’un immeuble comparable dans les règles de l’art peut suffire. In casu, l’arboriculteur a produit, en sus de ses diplômes étrangers (obtenus il y a plus de vingt ans), deux témoignages attestant de ses connaissances dans le domaine de l’arboriculture. Il affirme en outre vouloir exploiter l’immeuble lui-même et en faire sa source de revenus à terme. Le fait qu’il n’en tirera pas de revenus avant une dizaine d’années, selon le plan d’exploitation qu’il a fourni, n’y change rien. Il apparaît ainsi qu’il présente les capacités nécessaires à l’exploitation de l’immeuble. Par conséquent, la commission foncière a violé l’art. 9 LDFR en déniant la qualité d’exploitante à titre personnel à la société agricole.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie la cause à la commission foncière pour examen des autres conditions.

Note

La Commission foncière a refusé l’octroi de l’autorisation notamment au motif qu’elle avait des doutes quant au but réel de l’acquisition. L’autorité a considéré en particulier que l’acquisition pouvait être en réalité motivée par un but financier eu égard au fait que la commune aurait déjà effectué des études en vue d’un classement, rendant ainsi la zone constructible.

À cet égard, le Tribunal fédéral relève que, même si l’autorité éprouvait des doutes quant à la volonté de l’arboriculteur, ceux-ci ne pouvaient motiver le refus d’octroi de l’autorisation. En revanche, l’autorité aurait pu assortir l’autorisation d’acquisition d’une charge, voire d’une condition (ATF 140 II 233 consid. 3.1.3 ; cf. ég. art. 64 al. 2 LDFR). De surcroît, l’autorisation d’acquérir peut, en tant que décision administrative, être révoquée à certaines conditions, en particulier lorsque l’acquéreur l’a obtenue en fournissant de fausses informations (cf. art. 71 al. 1 LDFR). Tel est le cas notamment, lorsqu’au moment de l’octroi de l’autorisation, le requérant dissimule le fait qu’il n’envisage pas réellement d’exploiter lui-même l’immeuble ou seulement pour une courte période. De plus, la volonté d’exploiter personnellement les terres doit exister non seulement lors de l’octroi de l’autorisation, mais aussi sur le long terme.

Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, L’acquisition d’un immeuble agricole par une personne morale (art. 9 LDFR), in : www.lawinside.ch/1427/