Conflits d’intérêts et imputation de connaissance

TF, 21.11.2023, 4A_350/2023

Les membres d’un conseil de fondation doivent se récuser lors d’une prise de décision pour laquelle ils sont en conflit d’intérêts. Leur connaissance ne peut donc pas être imputée à la fondation. 

Faits

Un négociant en valeurs mobilières (désormais nommé maison de titres, cf. art. 41 LEFin) pratique la gestion de fortune pour des clients privés et institutionnels. Il gère notamment le patrimoine d’une fondation de prévoyance LPP. Le CEO de ce gestionnaire et l’un de ses employés sont également membres du conseil de cette fondation. Les actifs de cette dernière sont majoritairement investis dans deux fonds de fonds (un fonds de fonds est un fonds qui investit dans d’autres fonds). Ces fonds de fonds sont gérés et distribués par le gestionnaire. Le gestionnaire se trouve donc dans un « double rôle », étant à la fois gestionnaire du patrimoine de la fondation et gestionnaire du fonds de fonds. Il n’informe pas activement la fondation de cette situation.

Le schéma ci-dessous illustre ces faits :

Dans une procédure intentée contre le gestionnaire, la fondation soutient en particulier qu’il lui aurait causé un dommage en raison des frais inutiles causés par les fonds de fonds. En effet, le gestionnaire aurait pu directement acheter des parts des fonds cibles, évitant ainsi les frais du fonds de fonds.… Lire la suite

La copie sans droit des données de la société par un associé

TF, 11.01.2024, 4A_31/2023

Le prix de vente d’une base de données résiduelle permet d’estimer le dommage causé à une société par la copie sans droit de la base de données (application de l’art. 42 al. 2 CO).

Faits

Un couple fonde une société à responsabilité limitée. Lorsqu’ils se séparent, la collaboration dans la société se détériore. L’associé emporte l’intégralité de la base de données de la société, après l’avoir copiée sur un disque dur externe. Cette base de données constitue l’essentiel des actifs de la société.

La société ouvre action contre l’associé afin qu’il soit condamné à lui réparer son dommage causé par la copie de sa base de données. Dans son mémoire, la société allègue avoir subi un dommage de CHF 425’846.- en renvoyant à une seule pièce. Celle-ci contient un récapitulatif établi par elle-même des divers postes du dommage allégué, comportant notamment un poste intitulé “database complète, emportée et transmise à [une autre société]” correspondant à une valeur de CHF 100’000.-. La pièce contient des annexes auxquelles les postes ou sous-postes de dommage se réfèrent à titre de pièces justificatives. S’agissant de la valeur de la base de données, la pièce renvoie à une annexe 9.… Lire la suite

L’interprétation d’une élection de for et la qualité de créancier pour consulter les rapports de gestion et de révision

TF, 03.08.2023, 4A_559/2022*

L’étendue d’une élection de for doit être déterminée, en l’absence d’élection de droit réglant spécifiquement son interprétation, selon le droit applicable au contrat dans son ensemble.

Le requérant d’une demande de consultation des rapports de gestion et de révision au sens de l’art. 958e al. 2 CO doit démontrer sa qualité de créancier au degré de la vraisemblance prépondérante.

Faits

En 2011, une société d’assurance péruvienne conclut un contrat d’assurance avec une société de distribution d’énergie au Pérou. Afin de couvrir le risque assuré, la société d’assurance péruvienne conclut également un contrat de réassurance avec une société suisse. Le contrat de réassurance comprend une élection de for et une élection de droit désignant les tribunaux péruviens, respectivement le droit péruvien.

En 2014, la société d’assurance péruvienne est condamnée par sentence arbitrale au paiement de USD 14’000’000 à la société de distribution d’énergie. Dans la mesure où le risque de réassurance s’est réalisé, la société péruvienne exige une indemnisation de la société suisse de réassurance qui conteste l’étendue de sa prétention. La société d’assurance péruvienne ouvre alors action au Pérou pour une partie de sa prétention. En parallèle, elle saisit le Handelsgericht du canton de Zurich d’une demande de consultation des derniers rapports de gestion et de révision de la société suisse de réassurance.… Lire la suite

Qualité pour agir du créancier cessionnaire admis provisoirement à l’état de collocation et relation entre action en restitution et action en responsabilité

ATF 149 III 422 TF, 30.05.2023, 4A_465/2022 ; 4A_467/2022*

Un créancier dont la créance a été admise provisoirement à l’état de collocation peut se voir céder des prétentions de la masse en faillite et agir dans une procédure en cette qualité. La cession doit alors être assortie d’une condition résolutoire pour le cas où la créance est définitivement écartée de l’état de collocation.

L’action en restitution (art. 678 CO) et l’action en responsabilité (art. 754 ss CO) sont en relation de concurrence (Anspruchkonkurrenz). Lorsque plusieurs personnes sont responsables à ce titre, elles répondent selon les règles de la solidarité imparfaite (art. 51 al. 2 CO).

Faits

À l’issue d’une procédure d’arbitrage, une société entame des poursuites à l’encontre de la société reconnue débitrice. La société poursuivante obtient la mainlevée pour un montant de CHF 5.8 millions. S’ensuit l’ouverture de la faillite de la société débitrice.

Agissant en tant que créancier cessionnaire, la société poursuivante ouvre (i) une action en restitution à l’encontre de la société actionnaire de la société débitrice ainsi qu’une (ii) action en responsabilité à l’encontre du président du conseil d’administration et directeur unique de cette même société et de la société débitrice, ainsi qu’à l’encontre de l’organe de révision de la société débitrice.… Lire la suite

La qualification en droit suisse d’une Parental Guarantee

ATF 149 III 71TF, 23.11.2022, 4A_120/2022*

Le tiers non partie au contrat et au bénéfice d’une stipulation pour autrui parfaite peut se voir imposer des conditions d’exercice de la créance dont il dispose, notamment une élection de for et de compétence. Le contrat qui oblige un tiers à exécuter une obligation en nature ne peut résulter en un cautionnement, même si le bénéficiaire finit par introduire une action tendant au paiement d’une somme.

Faits

Un groupe offre des services en lien avec la technologie de l’information et de la communication. Il est composé d’une société-fille suisse (la recourante) et d’une société-mère, qui a son siège en Allemagne.

En 2015, la société-mère allemande conclut un contrat-cadre avec une entreprise internationale spécialisée dans le développement et l’implantation de systèmes et plateformes « intelligents ». Cette dernière est composée d’une société suisse qui est la société-fille d’une holding néerlandaise, elle-même la société fille d’une société américaine. Ce contrat-cadre vise l’implantation d’un logiciel dans les opérations informatiques du groupe. L’entreprise américaine consent une première « Parental Guarantee of Provider’s ultimate parent » garantissant les obligations de sa fille néérlandaise en faveur de la cliente allemande et de toutes les sociétés de son groupe. La société allemande et les sociétés de son groupe sont désignées comme bénéficiaires de la « Parental Guarantee », mais n’y sont pas parties et ne la contresignent pas. … Lire la suite