Qualité pour agir du créancier cessionnaire admis provisoirement à l’état de collocation et relation entre action en restitution et action en responsabilité
ATF 149 III 422 | TF, 30.05.2023, 4A_465/2022 ; 4A_467/2022*
Un créancier dont la créance a été admise provisoirement à l’état de collocation peut se voir céder des prétentions de la masse en faillite et agir dans une procédure en cette qualité. La cession doit alors être assortie d’une condition résolutoire pour le cas où la créance est définitivement écartée de l’état de collocation.
L’action en restitution (art. 678 CO) et l’action en responsabilité (art. 754 ss CO) sont en relation de concurrence (Anspruchkonkurrenz). Lorsque plusieurs personnes sont responsables à ce titre, elles répondent selon les règles de la solidarité imparfaite (art. 51 al. 2 CO).
Faits
À l’issue d’une procédure d’arbitrage, une société entame des poursuites à l’encontre de la société reconnue débitrice. La société poursuivante obtient la mainlevée pour un montant de CHF 5.8 millions. S’ensuit l’ouverture de la faillite de la société débitrice.
Agissant en tant que créancier cessionnaire, la société poursuivante ouvre (i) une action en restitution à l’encontre de la société actionnaire de la société débitrice ainsi qu’une (ii) action en responsabilité à l’encontre du président du conseil d’administration et directeur unique de cette même société et de la société débitrice, ainsi qu’à l’encontre de l’organe de révision de la société débitrice. La demande est partiellement admise par le Handelsgericht zurichois qui condamne les trois défenderesses au paiement de CHF 1.8 millions solidairement.
Saisi par les défenderesses, le Tribunal fédéral doit trancher deux principales questions : premièrement, s’il est possible qu’un créancier agisse en tant que cessionnaire de la masse alors que sa créance n’a été colloquée que de façon provisoire ; secondement, déterminer la relation entre l’action en responsabilité et l’action en restitution.
Droit
S’agissant de la première question, les défenderesses remettent en question la qualité pour agir de la société poursuivante au motif que sa créance n’avait pas encore été colloquée de façon définitive. Elles font valoir que dans l’hypothèse où la condition résolutoire à laquelle la cession est liée devait se réaliser, la masse en faillite n’aurait aucune possibilité de récupérer des montants auprès de la poursuivante, celle-ci ayant son siège en Pologne. Il en découlerait également un risque de double paiement pour les défenderesses.
Le droit en tant que créancier de demander la cession des créances de la masse découle directement du texte de l’art. 260 LP. Cet article prévoit que chaque créancier porté à l’état de collocation a le droit de requérir et d’obtenir la cession des droits de la masse aussi longtemps que sa créance n’a pas été définitivement écartée de l’état de collocation. La loi ne prévoit en revanche aucune exigence quant au caractère définitif de la collocation. Ainsi, lorsqu’une créance n’a pas été colloquée de façon définitive, la cession d’une prétention de la masse en faveur du créancier est possible mais doit être assortie d’une condition résolutoire qui est réalisée dans l’hypothèse où la créance est définitivement écartée de l’état de collocation. Jusqu’à ce moment-là, le créancier-cessionnaire peut agir sans égard au caractère conditionnel de la cession. En l’espèce, la société poursuivante était en droit d’agir dans la procédure, ce qu’elle a fait en obtenant un jugement en sa faveur à hauteur de CHF 1.8 million. Il n’existe aucun risque de double paiement dans ce cadre. Si la créance de la poursuivante devait finalement être définitivement écartée de l’état de collocation, il appartiendrait à celle-ci de restituer l’éventuel produit du procès, à défaut de quoi la masse en faillite devrait agir pour récupérer les montants dus, en assumant les risques de recouvrement potentiels.
S’agissant de la deuxième question, l’organe de révision condamné solidairement aux côtés des deux autres défenderesses soutient que l’action en responsabilité (art. 754 ss CO) aurait dû être traité de façon subsidiaire par rapport à l’action en restitution (art. 678 CO).
Le Tribunal fédéral n’est pas de cet avis. Refusant de revenir sur sa jurisprudence établie dans l’ATF 140 III 533, il considère que les deux actions sont en relation de concurrence (Anspruchkonkurrenz) et que les responsables répondent selon les règles de la solidarité imparfaite (art. 51 al. 1 CO). Ainsi, chaque débiteur solidaire répond pour l’intégralité de la prétention. Le Tribunal fédéral confirme ainsi son précédant en expliquant que la relation entre l’action en responsabilité et l’action en restitution ne peut pas être guidée par le devoir de mitiger le dommage qui aurait imposé à la société poursuivante d’agir par l’action en restitution avant d’actionner en responsabilité le conseil d’administration et de l’organe de révision en responsabilité. En l’espèce, les défenderesses répondent donc solidairement de l’intégralité de la prétention.
Pour ces motifs, le Tribunal fédéral rejette les recours.
Note
Dans le présent arrêt, le Tribunal fédéral confirme que le créancier peut agir en tant que cessionnaire alors même que sa créance n’a été colloquée que de façon provisoire. Dans ce cas, la cession doit être assortie d’une condition résolutoire pour le cas où la créance est définitivement écartée. Les considérants consacrés à cette question sont également intéressants en ce qui concerne la logique derrière la possibilité pour les créanciers d’agir en tant que cessionnaire de la masse en faillite. Le but étant finalement d’accroître les actifs de la masse lorsque celle-ci n’est pas prête à assumer les risques du procès à l’encontre d’un tiers. Le créancier peut alors initier une procédure à ses propres risques et périls, cas échéant aux côtés d’autres créanciers cessionnaires de la même prétention, en concluant au paiement de la prétention en sa faveur. Lorsque le produit du procès excède sa prétention, le créancier a le devoir de verser à la masse le surplus (art. 260 al. 2 LP). Le risque de recouvrement qui peut exister lorsque le créancier-cessionnaire omet de restituer à la masse le surplus doit être supporté par la masse en faillite. Ce même risque existe lorsque, comme dans le cas qui fait l’objet du présent arrêt, le créancier est finalement exclu de l’état de collocation et la cession devient caduque. Suivant l’état d’avancement du procès initié, le créancier se verra notifier une décision d’irrecevabilité ou aura le devoir de restituer le produit du procès qui se serait déjà conclu. C’est également compte tenu de cette analogie que le Tribunal fédéral parvient à la conclusion exposée ci-dessus.
Proposition de citation : Simone Schürch, Qualité pour agir du créancier cessionnaire admis provisoirement à l’état de collocation et relation entre action en restitution et action en responsabilité, in : www.lawinside.ch/1326/