La demande d’intervention du Conseil fédéral auprès d’une autorité étrangère
ATF 149 I 316 | TF, 02.05.2023, 2C_236/2022*
Les art. 8 et 13 CEDH ne permettent pas à l’ayant droit économique qui se prévaut d’une violation du principe de spécialité par une autorité étrangère d’exiger l’intervention du Conseil fédéral auprès de l’autorité concernée. La décision d’intervenir auprès de l’autorité s’effectue de manière discrétionnaire et ne peut être revue par les tribunaux suisses.
Faits
En 2010 et 2011, l’Autorité des marchés financiers française (AMF) requiert de la FINMA qu’elle lui accorde l’assistance administrative à propos d’un négoce de titres opéré par trois banques. La FINMA accepte et notifie la décision à l’ayant droit économique des relations bancaires. La FINMA rappelle toutefois que les informations échangées ne doivent servir qu’à la mise en œuvre de la réglementation sur les bourses, le commerce de valeurs mobilières et les négociants en valeurs mobilières. Une utilisation à d’autres fins n’est possible qu’à condition de recueillir l’assentiment de la FINMA (principe de spécialité).
En 2020, l’ayant droit requiert le prononcé d’une décision formelle par le Conseil fédéral. Il reproche en substance à l’AMF d’avoir transmis les informations au Tribunal de grande instance de Paris sans l’assentiment de la FINMA. Lesdites informations ont ensuite fondé l’ouverture d’une enquête pour faux et usage de faux. L’ayant droit demande que le Conseil fédéral intervienne afin que l’AMF restitue les informations, car leur transmission viole le principe de spécialité.
Le Conseil fédéral considère que le courrier équivaut à une dénonciation et relève ne pas pouvoir sanctionner l’AMF, puisqu’un tel acte est de la compétence du gouvernement français. Au surplus, le Conseil fédéral n’estime pas nécessaire de dénoncer les manquements de l’AMF à l’État français et ne donne pas suite à la demande de l’intéressé.
L’ayant droit recourt contre l’acte précité auprès du Tribunal administratif fédéral, qui déclare le recours irrecevable (TAF, 14.02.2022, B-6422/2020, résumé in : LawInside.ch/1186). L’ayant droit forme alors un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, qui est amené à se prononcer sur la demande d’intervention adressée au Conseil fédéral afin qu’il rappelle à un autre État ses engagements.
Droit
Les recours qui portent sur des décisions de relations extérieures sont irrecevables, à moins que le droit international ne confère un droit à ce que la cause soit jugée par un tribunal (art. 83 let. a LTF). Sur la base de l’art. 32 al. 1 let. a LTAF, dont le contenu est substantiellement identique, le Tribunal administratif fédéral a refusé d’entrer en matière. En l’espèce, la question de la recevabilité devant le Tribunal fédéral se confond ainsi avec l’examen du fond de l’affaire, c’est-à-dire la question de savoir si le droit international confère au recourant un droit à un recours devant un tribunal. Le caractère attaquable de la décision de non-intervention du Conseil fédéral est dès lors une question de double pertinence, que le Tribunal fédéral traite usuellement lors d’un examen du fond de l’affaire. Le Tribunal fédéral rentre dès lors en matière.
L’art. 8 CEDH garantit le respect de la vie privée et familiale, tandis que l’art. 13 CEDH garantit un droit de recours effectif au niveau national pour les personnes dont les droits et libertés reconnus par la CEDH ont été violés. Du point de vue du recourant, le refus d’intervenir du Conseil fédéral violerait l’art. 8 CEDH, décision contre laquelle au moins une instance nationale devrait pouvoir se prononcer en vertu de l’art. 13 CEDH.
Avant d’analyser les arguments de fond, le Tribunal fédéral précise qu’en pareil cas, la voie de droit potentiellement ouverte est le recours auprès du Tribunal administratif fédéral. Certes, le Tribunal administratif fédéral ne connaît en règle générale des recours qu’au sujet d’une liste exhaustive de décisions du Conseil fédéral (art. 33 let. a et b LTAF). Cela étant, lorsque le droit international garantit le droit à une décision judiciaire, le Tribunal administratif fédéral peut néanmoins se saisir de la cause. Tel est notamment le cas lorsque la garantie d’un recours effectif de l’art. 13 CEDH s’applique. Cela permet de garantir deux instances de recours au justiciable et d’éviter que le Tribunal fédéral statue en instance unique.
Sur le fond, le Tribunal fédéral relève que les données bancaires constituent de manière indiscutable des données personnelles que protège l’art. 8 CEDH. En les transmettant, une autorité suisse commet une atteinte au droit à la vie privée de la personne titulaire. Pour que cette atteinte soit admissible au regard de l’art. 8 CEDH, la transmission doit respecter plusieurs impératifs qui ont été concrétisés dans l’art. 38 al. 2 aLBVM [désormais abrogé et remplacé par l’art. 42 LFINMA]. Ces impératifs constituent les obligations positives que doit respecter l’État qui envisage une transmission.
En revanche, après la transmission, aucune obligation n’impose à l’État requis d’agir auprès de l’État requérant, et encore moins de prendre des mesures diplomatiques à son encontre. La décision des autorités françaises de transmettre les informations, bien qu’elle viole éventuellement le principe de spécialité, relève d’un acte entrepris de manière souveraine. L’ayant droit ne bénéficie pas d’un droit à contraindre la Suisse à rappeler à la France de respecter ses engagements. Le Conseil fédéral décide de manière discrétionnaire s’il entend agir auprès d’un Etat étranger. Le refus d’entrer en matière du Conseil fédéral ne constitue ainsi pas une violation de l’art. 8 CEDH. Le recourant ne peut donc se prévaloir de l’art. 13 CEDH pour exiger une voie de droit contre ce refus. Le Tribunal administratif fédéral n’a donc pas violé le droit en refusant d’entrer en matière sur le recours (art. 32 al. 1 let. a LTAF).
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Arnaud Lambelet, La demande d’intervention du Conseil fédéral auprès d’une autorité étrangère, in : www.lawinside.ch/1327/