L’indemnité pour expropriation matérielle en cas de classement en zone à bâtir réservée aux constructions publiques

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TF, 13.07.2023, 1C_332/2022*

Le refus de classement (ou non-classement) d’un terrain existe également lorsque, dans le cadre de la première planification conforme à la LAT, ce terrain est classé en zone à bâtir réservée aux constructions publiques, de sorte que le propriétaire se voit empêché d’y construire à titre privé. Toutefois, le droit à une indemnité au titre d’une expropriation matérielle dépendra des conditions du cas d’espèce, examinées de manière approfondie.

Faits

Une société anonyme est propriétaire d’une parcelle sur le territoire de la commune de Lugano. En 1993, le Conseil d’État approuve la modification du plan d’affectation antérieur, datant de 1977. Une partie de la parcelle de la société est située en zone à bâtir, l’autre en zone à bâtir d’intérêt communal (zona edificabile di interesse communale ; ci-après « ZEIC ») destinée à favoriser l’implantation de résidences principales.

La société propriétaire ouvre action devant le Tribunale d’espropriazione contre la commune de Lugano, réclamant une indemnité de plus de CHF 7 millions, à titre d’expropriation matérielle due à l’affectation d’une partie de sa parcelle en ZEIC, sans succès. Sur appel, le Tribunale cantonale amministrativo admet un cas d’expropriation matérielle et renvoie la cause à l’autorité inférieure pour fixation de l’indemnité.

La commune de Lugano exerce un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, lequel est amené à se déterminer sur l’existence d’une expropriation matérielle et sur les conditions d’une éventuelle indemnité.

Droit

Aux termes de l’art. 5 al. 2 LAT, qui fait écho à l’art. 26 Cst. (garantie de la propriété), une juste indemnité est accordée lorsque des mesures d’aménagement apportent au droit de propriété des restrictions équivalant à une expropriation.

Selon la jurisprudence, il y a expropriation matérielle en particulier lorsque l’usage actuel ou futur probable d’une chose est empêché ou restreint d’une manière particulièrement grave, de sorte que le propriétaire est privé d’une des facultés essentielles découlant du droit de propriété.

Le refus de classer en zone à bâtir (ou non-classement ; Nichteinzonung) ne donne, sous réserve d’exceptions, droit à aucune indemnité à titre d’expropriation matérielle. Il intervient lorsque l’autorité affecte pour la première fois le bien-fonds conformément aux principes de la LAT ainsi qu’à la procédure fédérale prévue à cet effet et ne le classe pas en zone à bâtir. Le propriétaire pourra exceptionnellement obtenir une indemnité pour expropriation matérielle notamment si le terrain est prêt à être bâti (baureife), s’il se trouve dans un secteur déjà largement bâti (baulücke) ou dans d’autres circonstances liées à au respect de la bonne foi.

Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion d’établir qu’un refus de classer un terrain en zone à bâtir existe également lorsque, dans le cadre d’une première planification conforme à la LAT, l’autorité compétente place un terrain en zone à bâtir publique. Une telle situation constitue un cas particulier de refus de classement, puisque la zone est bien une zone à bâtir, mais que le terrain en question est destiné à être acquis par l’autorité publique et ne peut être construit par le propriétaire privé. La date déterminante pour apprécier l’existence d’une expropriation matérielle est en principe celle de l’entrée en vigueur de la mesure restrictive.

Comme l’a relevé l’autorité inférieure, le moment déterminant en l’espèce est donc le 7 décembre 1993, date à laquelle le Conseil d’État tessinois a approuvé la modification de la planification restreignant le droit de propriété de la société intimée. En l’espèce, le Tribunal fédéral rejoint l’appréciation de l’autorité cantonale selon laquelle la mesure en question constitue une expropriation matérielle. En effet, bien que le terrain soit juridiquement constructible, le classement en ZEIC empêche le propriétaire d’y construire à titre privé. Il équivaut donc à un refus de classement.

Cela étant dit, l’autorité inférieure n’a pas examiné de manière approfondie si les conditions d’indemnisation en cas de refus de classement étaient remplies. Elle s’est contentée d’admettre prima facie un cas d’expropriation matérielle justifiant une indemnité, sans examiner de manière suffisamment détaillée si les circonstances du cas la justifiaient effectivement.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours, annule l’arrêt attaqué et renvoie la cause à l’instance inférieure pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Proposition de citation : Camille de Salis, L’indemnité pour expropriation matérielle en cas de classement en zone à bâtir réservée aux constructions publiques, in : www.lawinside.ch/1348/