Caractère abusif d’une résiliation pour maladie persistante causée par l’employeur

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TF, 07.11.2022, 4A_396/2022*

Ce n’est que dans des situations très graves que le congé donné en raison d’une maladie persistante du travailleur est abusif. Il faut que l’employeur ait directement causé la maladie à l’origine du licenciement, notamment par une violation de son devoir de protection.

Faits

Par contrat de travail de 2006, une fondation engage un cuisinier à plein temps, puis le promeut sous-chef en 2015. À la suite du départ du chef en décembre 2016, le sous-chef assume seul la responsabilité de la cuisine, jusqu’à ce qu’un nouveau chef soit engagé en février 2017.

En mars 2017, le sous-chef est victime d’une incapacité de travail. Il explique que la cause de son incapacité réside dans la dégradation de ses conditions de travail. Il évoque notamment un manque de confiance du nouveau chef à l’égard de l’équipe, une perte d’indépendance dans sa manière de cuisiner et une ambiance froide au sein de l’équipe.

Après s’être vu retirer le poste de sous-chef et avoir fait l’objet de plusieurs évaluations négatives, le cuisinier reçoit un ultime avertissement en février 2019.

De mars 2019 à fin janvier 2020, le cuisinier est en incapacité de travail. Les certificats médicaux indiquent que ce dernier souffre d’un épuisement physique et psychique dû à la situation conflictuelle avec le nouveau chef cuisinier, d’insomnies, d’angoisses, d’une perte de poids et d’une diarrhée chronique.

En septembre 2019, la fondation met un terme au contrat de travail avec effet au 31 décembre de la même année. En octobre, le cuisinier conteste le congé.

À l’issue de la procédure de conciliation, le Tribunal des prud’hommes rejette la demande en paiement formée par le cuisinier. Celui-ci fait appel de cette décision devant le Tribunal cantonal vaudois, lequel considère le congé abusif, au motif que la fondation aurait causé la maladie du cuisinier en violation de son devoir de protection. Partant, il admet la demande formée par le cuisinier et condamne la fondation à lui verser CHF 24’827.60. La fondation recourt contre cette décision au Tribunal fédéral, lequel est amené à prononcer sur le caractère abusif du congé.

Droit

Un contrat de travail de durée indéterminée peut, moyennant respect du délai et du terme de congé, être librement résilié sans motif particulier. Il faut néanmoins réserver deux exceptions : premièrement, la résiliation peut intervenir en temps inopportun lorsqu’elle est prononcée durant l’une des périodes de protection de l’art. 336c al. 1 CO  ; secondement, la résiliation est abusive lorsqu’elle repose sur un motif abusif, en particulier sur un des motifs listés à l’art. 336 CO.

Une résiliation n’est pas abusive du simple fait qu’elle est prononcée à l’issue du délai de protection de l’art. 336c CO. Bien au contraire, l’employeur peut en principe résilier le contrat d’un employé encore atteint d’une incapacité de travail à l’échéance du délai de protection. Pour qu’une telle résiliation soit abusive au sens de l’art. 336 al. 1 let. a CO, il faut que la situation soit très grave (krasse Fälle). Un tel degré de gravité n’est atteint que lorsque l’employeur a directement causé la maladie à l’origine du licenciement, notamment en omettant de prendre les mesures requises par le devoir de protection que lui impose l’art. 328 al. 2 CO.

En l’espèce, la résiliation est motivée par le fait que le cuisinier demeure en incapacité de travail au-delà de la période de protection. Se pose dès lors la question de savoir si la maladie a directement été causée par l’employeur, de manière que la situation atteigne le degré de gravité requis. Le Tribunal fédéral y répond par la négative, au motif que la fondation n’aurait pas directement causé la maladie de son cuisinier. À cet égard, il soutient que « des difficultés au travail peuvent fréquemment entraîner une dépression ou d’autres troubles psychologiques » sans être constitutifs d’une maladie directement causée par l’employeur. De plus, les conflits entre subordonnés et supérieurs sont fréquents en pratique et n’exigent pas nécessairement de mesure de l’employeur.

Pour ces raisons, le Tribunal fédéral considère que le congé n’est pas abusif et admet le recours de la fondation.

Note

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral répond à la question, récurrente en pratique, de savoir dans quelle mesure le licenciement à l’expiration de la période de protection d’un employé malade peut être abusif. Il affirme que pour être abusif, le congé doit être donné suite à une situation très grave, soit lorsque la maladie a directement été causée par l’employeur. Le Tribunal fédéral limite ainsi très fortement la protection des travailleurs ayant développé des troubles psychiques suite à des situations conflictuelles au travail.

Par ailleurs, l’arrêt ne développe pas la nature de la relation de causalité qui doit exister entre le fait de l’employeur et la maladie du travailleur. Si la causalité naturelle n’appelle pas de remarque particulière, l’examen de la causalité adéquate semble plus délicat. Pour qu’un tel lien existe, le fait de l’employeur doit être, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, apte à provoquer l’incapacité de travail en cause. Dans ce cadre, se pose la question de savoir dans quelle mesure une sensibilité particulière du travailleur doit être prise en considération. À ce propos, il faut rappeler que la causalité adéquate s’étend également à des conséquences « peu fréquentes » ou « singulières » (ATF 112 V 30 ; ATF 96 II 392). Ainsi, l’employeur ne devrait pas être en mesure d’opposer une sensibilité particulière du travailleur. À cet égard, le Tribunal fédéral a retenu, dans un arrêt antérieur, que l’obligation de protection du travailleur (art. 328 CO) pouvait imposer à l’employeur de prendre des mesures spécifiques pour protéger un travailleur souffrant d’allergie à la fumée. Ces mesures peuvent même aller au-delà de celles requises par la protection des non-fumeurs n’étant pas allergiques à la fumée (ATF 132 III 257).

La situation atteint le degré de gravité requis lorsque le fait de l’employeur constitue la cause directe de l’incapacité de travail à l’origine du licenciement. Cette exigence ne trouve pas sa source dans la jurisprudence du Tribunal fédéral, lequel semble l’imposer dans le présent arrêt de manière inédite. Il n’est dès lors pas évident d’en saisir le sens, mais il est possible de l’interpréter en ce sens que le lien de causalité doit présenter une certaine intensité, à l’instar de la notion de dommage direct. La maladie devrait apparaitre comme la cause immédiate et directe du fait de l’employeur, sans que d’autres causes se soient immiscées dans la chaîne causale (sur la notion de dommage direct, cf. ATF 133 III 257, c. 2).

Selon nous, l’exigence de causalité directe ne se justifie pas. Il nous paraît incohérent de retenir des conditions plus strictes pour admettre le caractère abusif de la résiliation que pour fonder la responsabilité de l’employeur. Si l’employeur viole l’art. 328 CO parce qu’il omet de prendre les mesures de protection dues, il engage alors sa responsabilité pour le dommage qui découle directement ou indirectement de cette omission (sur la notion de causalité indirecte, cf. Franz Werro, La responsabilité civile, 3e éd., Berne 2017, nº 134 ; sur la responsabilité découlant de la violation de l’art. 328 CO, cf. Rémy Wyler / Boris Heinzer, Droit du travail, 4e éd., Berne 2019, p. 397). En pareille hypothèse, une résiliation du contrat de travail motivée par l’incapacité de travail causée par l’omission serait susceptible d’engendrer un dommage, dont l’employeur serait tenu responsable.

Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, Caractère abusif d’une résiliation pour maladie persistante causée par l’employeur, in : www.lawinside.ch/1389/